Loin de la frénésie, la créativité brille dans la haute couture

Il n'y a pas si longtemps, la haute couture se déroulait dans l’intimité des salons, lors de présentations privées où étaient dévoilées les collections à la clientèle aisée d'une maison. C'était discret, chic, et surtout très secret. Ces temps sont révolus. Tout comme le prêt-à-porter, la haute couture se dispute l'attention de la mode, cédant la place à une production de décors sophistiqués, à des célébrités hollywoodiennes, à des bousculades en front row et, bien sûr, à un niveau élevé d'esprit de compétition. L'objectif ? Vendre, assurément, ou plutôt parvenir à maintenir l'intérêt pour le créateur, et la maison, une fois les images disparues du feed.

Le vainqueur de cette compétition est incontestablement la maison Schiaparelli, marquée par l’apparition fabuleuse (ou démesurée si l'on veut la qualifier ainsi) au premier rang de Doja Cat. La rappeuse est arrivée sous le nom de Doja's Inferno, couverte de 30 000 cristaux rubis et de peinture rouge – l'application de l’ensemble a pris cinq heures. Assise sur un siège voisin, Kylie Jenner, du clan Kardashian, arborait une robe ornée d’une tête de lion – officiellement présentée sur le podium quelques instants plus tard – et est devenue la source singulière de la plus grande controverse de la semaine. Certaines des propositions les plus exquises de Daniel Roseberry se sont perdues dans ce brouhaha.

Des décors élaborés à grande échelle ont été présentés par les maisons Dior et Chanel, cette dernière ayant également choisi le thème des animaux. La ménagerie géante de l'artiste Xavier Veilhan, sculptée dans du contreplaqué, était un clin d'œil à la collection de sculptures animalières de Coco Chanel dans son appartement parisien.

M. Veilhan, qui a exposé à la Biennale de Venise en 2017, a déclaré au média spécialisé Artnet que la directrice artistique de Chanel, Virginie Viard, lui a « demandé s['il] pouvai[t] travailler autour de l'idée de l'appartement de Gabrielle Chanel et de son bestiaire ». L'appartement de Coco Chanel se trouvait à la suite de l'escalier en colimaçon de sa boutique et atelier à Paris.

Dior se tourne vers le jazz, Ackermann s'attaque à Jean Paul Gaultier

Chez Dior, un retour à l'ère du jazz a mis à l’honneur la chanteuse Joséphine Baker, sur une toile de fond de Mickalene Thomas qui présentait des portraits gigantesques célébrant les femmes noires. Les œuvres comprenaient des peintures de Donyale Luna, Eartha Kitt et Naomi Sims. Dans une interview accordée à Reuters, Mme Thomas a déclaré : « Toutes ces femmes étaient socialement actives et ont utilisé leur scène, leur voix ou leur performance pour raconter une histoire ou un récit sur leur vie personnelle et sur la population à laquelle elles appartiennent ».

Chez Armani, la platitude des variations infinies d'un thème arlequin, 77 looks, donnait tout son sens au less is more. Dans ce défilé similaire au Jour de la Marmotte, la répétition thématique a été développée sur des tenues de jour, des tenues de soirée et les itérations illimitées entre les deux.

Il y a aussi eu des moments de joie et une célébration de l'artisanat lorsque les vêtements parlaient d’eux-mêmes. On percevait alors l’expertise minutieuse requise pour coudre ces pièces de façon si magnifique. Chez Jean Paul Gaultier, le styliste invité Haider Ackermann a proposé des tenues magistrales, comme une veste de soirée ornée d'une ondulation de tulle à plumes, ou la façon dont un bustier a été transformé en un élégant tailleur pantalon. Chez Dior, la beauté se trouvait dans la construction du vêtement, où des peignoirs en velours plus légers qu’une plume étaient matelassés ou froissés.

Chez Giambattista Valli et Victor&Rolf, des cascades de tulle, de duchesse et de satin Cendrillon ont fait sortir la robe de bal de son hibernation. Le penchant de M. Valli pour les robes mousseuses lui a valu une clientèle fidèle, vraisemblablement celle qui peut se permettre de s'habiller en fonction d’une vie de conte de fées. Lors de la présentation du duo néerlandais d'avant-garde, une robe était à l'envers, signature de V&R, défiant la gravité et transformant les stéréotypes en œuvres d'art. Car c'est ce que devrait être la haute couture, une œuvre d'art portable.

Cet article a initialement été publié sur FashionUnited.com. Il a été traduit et édité en français par FashionUnited France.