Pourquoi recycle-t-on si peu nos déchets textiles ?
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Alors que la sobriété s’impose dans le débat public, l’upcycling prôné par les partisans de l’éco-responsabilité se heurte à plusieurs limites dans l’industrie de la mode.
Avant la rentrée du gouvernement, le président Emmanuel Macron avait donné le ton : l’ère de l’insouciance et de l’abondance (de la terre, de la matière, de l’eau) est terminée. Le réchauffement climatique, conjugué à la crise sanitaire et au renforcement des régimes autoritaires promet des bouleversements dans nos échelles de valeur. La sobriété énergétique, raillée autrefois par la doxa keynésienne, va donc grimper brusquement aux échelons les plus élevés de cette échelle, soutenue par les imprécations de l’écologie politique.
Face à ces nouveaux impératifs, la mode est sommée de montrer patte blanche. Pour rappel, ce secteur est l’un des plus polluants au monde, puisqu’il rejette chaque année des milliards de microfibres dans l’environnement, sans même parler de la consommation d’eau exubérante que la culture de certaines fibres réclame. Une eau qui va cruellement manquer dans les décennies à vernir. Quelques chiffres : il faut jusqu’à 20 000 litres d’eau pour faire pousser un kilogramme de coton. Un européen produit plus de 15 kilos de déchets textiles par an.
Le recyclage s’impose donc comme une nécessité. Toutes les matières peuvent-elles être recyclées ? Un petit tour d’horizon s’impose. Le recyclage de la laine tout d’abord, semble une évidence. Il remonte au Moyen-Âge, nous rappelle le salon Première Vision qui précise que les lainiers ont été les pionniers du recyclage mécanique permettant aux étoffes hivernales de connaître une nouvelle vie. Cette technique a été adaptée au coton qui lui aussi peut être trié par lots de couleurs, déchiqueté et re-fibré en une nouvelle qualité. Les cotons par ailleurs peuvent être travaillés par recyclage chimique pour se métamorphoser en nouveaux matériaux cellulosiques. Les lins et le chanvre (dont la culture réclame infiniment moins d’eau et de pesticides que le coton) sont à l’étude pour suivre le même chemin.
Seuls 1 pour cent des matières produites sont issues de recyclage textile à textile
En ce qui concerne le cuir, la filière rappelle régulièrement qu’il est historiquement lié au recyclage puisqu’il en est intrinsèquement issu (les animaux comme les vaches ou les moutons ne sont pas élevés pour leurs peaux mais pour leurs viandes). Les métaux enfin rentrent, eux aussi, très rapidement dans des boucles de recyclage tandis que la moindre chute de production est rapidement fondue pour repartir dans une nouvelle création. En résumé, le coton, la laine, le cuir, les métaux peuvent tous être recyclés. L’horizon semble donc lumineux.
Un horizon d’autant plus lumineux que la stratégie de l’Union Européenne envers les textiles durables et circulaires s’ordonne autour de mesures visant à réduire la quantité des textiles jetés dans les décharges grâce à l’obligation d’inclure davantage de textiles recyclés dans les conceptions de vêtements. Seulement voilà : à l’heure actuelle, seulement 1 pour cent des déchets textiles sont aujourd’hui recyclés et transformés en nouveaux vêtements. Plusieurs raisons à ce décalage entre les attentes, les possibilités et les résultats. Première raison, majeure : le polyester a connu une croissance fulgurante ces 20 dernières années sous l’impulsion notamment des enseignes de fast fashion telles que Shein, H&M, Asos, Boohoo, Forever 21.
Or, la consommation en continuelle progression de matières synthétiques nécessite des ressources fossiles, pétrochimiques, importantes. Si le recyclage du synthétique est possible, il réclame néanmoins un apport de ressources pétrochimiques vierges et provient du recyclage de bouteilles en PET. Il aide donc au recyclage de déchets provenant de l’industrie alimentaire et n’aide en rien au recyclage des produits que la filière textile met sur le marché. Quelles solutions ? Les marques et les enseignes ne vont dans les décennies à venir avoir d’autres choix que de réduire notre dépendance aux synthétiques tout d’abord. Mais aussi privilégier les monomatieres (ou au maximum les bimatières de même typologie de préférence) et les fibres longues initiales qui sont de réels atouts pour la seconde vie d’une matière.
« Très peu d'usines de recyclage acceptent des vêtements fabriqués à partir de plusieurs tissus différents, par exemple 95 pour cent coton et 5 pour cent élasthanne. Dans de tels cas, le coton est recyclé et l'élasthanne est brûlé, ce qui, malheureusement, a toujours un impact sur l'environnement » confirme la créatrice Grėtė Švėgždaitė qui a fondé la marque Gretes en Lituanie. Cette marque transforme les vêtements de nuit, issus du recyclage, en fils qui peuvent être utilisés par d’autres fabricants, réinjectant ainsi le tissu dans la chaine de production et réduisant la pression sur les décharges.
La créatrice prévient cependant : « pour bénéficier d'un recyclage complet et d'une transformation en un autre produit, un vêtement doit être composé à 100 pour cent d'un matériau naturel ». Ce que confirme également Première Vision qui recommande d’éviter les fils métalliques, l’élasthanne au-delà de 5 pour cent, qui déconseille les étoffes complexes comme le jacquard, la maille jetée (indémaillable et ne pouvant donc être effilochés), les tissus à importante élasticité mécanique et les matières très épaisses ou au contraire les fils très fins. Enfin, signalons que certains apprêts ou finitions de type anti-froissage, flocage, enductions perturbent le recyclage. Les décors collés ou cousus sont également problématiques. Rappelons enfin cet ultime conseil de bon sens : si le recyclage est un volet de l’économie circulaire, un vêtement qualifié de responsable devra avant tout durer dans le temps grâce à sa qualité et sa capacité à traverser les modes.