Quelles seront les tendances matières printemps été 2024 selon Première Vision ?
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Le salon international du sourcing matières, Première Vision février 2023, a révélé aux professionnels les premiers grands courants de la mode printemps été 2024, à travers trois forums : Décoration, Essentials et Leather. Reportage sur place.
Forum Décoration : de l’influence du végétal sur les tissus printemps été 2024
« Naturalité », caractère de ce qui est à l'état de nature, est le mot le plus prononcé par les expertes matières, rencontrées sur le salon Première Vision février 2023. Bienvenue, donc, dans une saison printemps été 2024 qui laisse la primeur aux matières naturelles (le lin, la soie, la laine froide…). Mais comme il n’y aurait pas de mode sans l’intervention de la fantaisie humaine, cette « naturalité » se traduit par des textures avec des effets de fils flammés, des cannages sur des jacquards ou autres références au savoir-faire artisanal. Cette force végétale s’exprime également dans les motifs. Si la saison estivale est très souvent bucolique ou champêtre, l’expression végétale de l’été 2024 tourne autour de la feuille et parfois même l’arbre.
Mais qui « naturalité » dit aussi « tellurisme », comprenez influence de la terre sur les mœurs sociétales. Côté tissages et imprimés, cela donne des effets de croûte terrestre, vagues sismiques, écorces… Même pour l’outdoor, les tissus performants s’habillent de fantaisies minérales et textures volcaniques. Quid des motifs animaliers dans cette jungle qu’est le monde de la fashion ? « Pour le printemps été 2024, la proportion de motifs animaliers par rapport à d’autres saisons est moindre, nous répond Ariane Bigot, adjointe de direction mode chez Première Vision. Mais ce qui est intéressant dans la représentation des peaux de zèbres, panthères ou serpents, c’est l’émergence de colorations décalées ou motifs agrandis ».
« Dans la globalité de l’offre, nous avons été frappés par la proportion démesurée des dessins, des échelles équivalentes à celles habituellement utilisées dans l’ameublement. » Selon cette experte, l’influence du home sweet home dans certains motifs peut être lié à « l’envie de capter l’attention visuelle sur les réseaux sociaux. Plus l’image est grande, plus on est visibles. Une fleur classique, si on la change d’échelle ou qu’elle génère un placement unique dans la coupe du vêtement, permet de se singulariser ».
Une édition Première Vision placée sous le thème du rêve digital, d’un jardin d’Éden irréel
Le courant autour de l’esthétique numérique influence les visuels des dessins dans la couleur, la brillance et les ondulations. Les codes évoluent vers des teintes encore plus pastellisées, vibrantes, avec des nacrages contemporains, des ondulations irréelles. Feuillages et fleurs vectorisés s’envolent vers de nouveaux imaginaires. Plus ou moins agrandis, ces motifs se juxtaposent de façon aléatoire. S’extirpant d’une préciosité généralement métallique (dorée, cuivrée, argentée), les dentelles, jacquards broderies se couvrent de brillances colorées, irisées et transparentes.
Printemps été 2024 : un tailoring genderfluid aux tonalités douces
Cette lame de fond autour de la naturalité se retrouve dans une gamme de tons naturels, clairs, neutres, voire un peu ternes… C’est clairement la première impression que donne le Forum Essentials. Ce nuancier correspond à l’offre classique dédiée aux robes, pantalons, vestes, mais on note, en parallèle, une touche de fraîcheur et de vitalité avec des coloris un peu acides, lumineux, acidulés et même des pastels qui ont du caractère. « Le beige a pris le dessus sur le gris, on voit un peu moins de noirs, signale Ariane Bigot. Mais la surprise provient de draperies, en vraie laine fluide, mauves, roses pâles… Depuis que je travaille à Première Vision, je n’ai jamais eu l’occasion d‘exposer quinze belles draperies classiques dans un tel colorama de douceurs ».
Cette mouvance correspond à l’émergence d’un tailoring fluid genderless, précédemment identifié sur les derniers shows masculins. Elle s’accompagne d’un renouveau du bleu, couleur traditionnellement associée au genre masculin symbolisée par la chemise de banquier ou le costume du marin. Le bleu s’affranchit et devient une vraie puissance chromatique : bleu Klein, turquoise, ciel, bleu roi… « Cela faisait plusieurs saisons que les bleus classiques étaient challengés par les bruns, les kakis » admet l’experte.
La dentelle, nouvel entrant sur le Forum Essentials
Cette nouvelle sophistication va de pair avec l’arrivée de la dentelle dans le Forum Essentials. « Nos visiteurs viennent à première Vision pour leur prêt-à-porter ou la couture, mais ils ont aussi, dans leurs collections, des besoins spécifiques liés à la lingerie, témoigne la spécialiste. Nous avons donc voulu mettre en avant la dentelle, qui fait figure d’intrus, mais se situe dans la continuité de la zone du forum dédiée aux sports, swimwear et à la lingerie ».
Wild feline, Opulent seduction, un champ nouveau s’ouvre pour un secteur qui a vécu le confinement en mode pyjama et souhaite aujourd’hui se draper de plus de séduction et sophistication avec des mailles fluides, coulantes, filantes, des molletons de coton douillets à l’intérieur, doux et souples à l’extérieur, ou encore des ornementations plus subtiles, interférence entre l’univers du maillot de bain et de la lingerie.
Un virage s’opère : la notion de confort s’accompagne désormais de chic et de séduction. Les popelines et les satins se moulent dans des structures armurées, compliquées, qui rompent leur côté plat. Les flammes végétales du lin ou du chanvre font vibrer les unis. Dans cette quête de valeur ajoutée, les structures iconiques de la soierie se parent de rayures horizontales en ottoman ou en faille
Forum leather : le retour en grâce du cuir après le greenbashing
Cette notion de naturalité vient évidemment légitimer l’utilisation du cuir, face aux alternatives synthétiques. « Les visiteurs posent beaucoup de questions aux tanneurs sur la traçabilité, la durabilité, le bien-être animal, mais ne remettent plus en cause la matière en tant que telle », note Carine Montarras, cheffe de produit cuir chez Première Vision. Non seulement il n’y a pas eu de ralentissement de développement des accessoires en cuir (chaussures et maroquinerie), mais il y a eu des demandes pour des vêtements en cuir, en hiver comme en été ».
Il faut dire que l’industrie du cuir a peaufiné ses méthodes : tannage métal free grâce à des tannants végétaux de mimosas, châtaigniers ou quebrachos (arbres originaires d’Amérique latine) ; cuir nubucké et embossé réalisé à base de polymères biosourcés issus de l’huile de chanvre ; peaux foulonnées teintes naturellement grâce à des déchets issus du vin…
La mode ou l’art de jouer des contrastes pour satisfaire tout le monde
« Le plus flagrant, c’est la dichotomie qu’il peut y avoir dans les tendances de la mode, s’étonne (encore et toujours) l’experte. Il y a une énorme inspiration vers plus de naturalité avec des produits qui laissent visibles le grain de la peau, des couleurs diffuses qui vont se patiner pour valoriser le côté vivant de la matière. De l’autre, il y a cette lumière digitale que l’on retrouve dans le nail art ou dans la peinture polychrome des voitures ».
Exit le vernis lisse ou même crispé classique et bienvenue, donc, à des vernis d’aspect mouillé, translucide et acidulé, pour créer des contrastes doucement colorés et floutés, des coloris pastel artificiels imprégnés de blancs laiteux, des effets de laque en transparence, des cuirs glacés, des reflets micro pailletés et changeants, façon hologramme…
Les cuirs sont enrichis de finissages à la précision extrême comme cette peau, exposée à l’entrée du Forum Leather, brodée d’une tête de léopard et de sequins. À l’inverse, cette fameuse « naturalité » laisse place à des cuirs grainés naturels, teints en foulon, sans finition pigmentée pour mieux laisser deviner les textures. Ici, la couleur est pleine et absorbante. Elle va de l’indigo au terracotta en passant par le violet ou ce fameux bleu Klein - du nom du peintre Yves Klein qui en fait l’emblème d’une quête d’immatérialité et d’infini - qui pourrait s’avérer être la couleur reine de la saison printemps été 2024.