Qui est Siré Kaba, la créatrice qui a habillé la princesse Delphine de Belgique ?
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Une robe colorée, cintrée à la taille, assortie à un chapeau comme le veut la tradition. L’été dernier, la princesse Delphine a fait sensation dans sa tenue lors de son apparition à l’occasion de la fête nationale belge. A l’origine de cette robe, Siré Kaba, une créatrice et fondatrice de la marque Erratum Fashion qui promeut le métissage et une mode colorée aux influences africaines. Deux ans après leur première rencontre, la princesse Delphine a choisi de faire confiance à la créatrice de 40 ans pour cet événement hautement symbolique. Déjà reconnue en Belgique pour ses créations, cette expérience a permis à Siré Kaba d’avoir une plus grande visibilité à l’international et d’autres opportunités.
Comment s’est passée la rencontre avec la princesse Delphine de Belgique ?
La première rencontre a eu lieu en octobre 2019, à l’occasion d’un défilé organisé par la banque BNP, avec ses clients les plus prestigieux et auquel je participais. Il y avait des marques comme Natan, qui habille la famille royale belge. Erratum Fashion se positionnait comme un outsider qui a eu la chance d’ouvrir le défilé. Le premier contact avec la princesse Delphine a eu lieu ce jour-là. Elle était dans le public et après mon passage, elle m’a envoyé un message de félicitations sur Instagram, en disant qu’elle avait vraiment apprécié mon travail, que j’avais beaucoup de talent, qu’elle me félicitait et m’encourageait à continuer.
En 2020, j’ai encore été invitée par la BNP, cette fois-ci pour célébrer les dix ans de l'événement. C’était en pleine période de Covid mais ils ont voulu soutenir les créateurs. Au lieu d’un défilé, ils nous ont mis à disposition des mannequins, des réalisateurs pour que nous puissions chacun faire des vidéos de présentation de nos créations. Un projet toujours destiné à une clientèle sélective. L’occasion pour la princesse de voir à nouveau mes créations. Lorsque l’idée de sa participation au défilé a émergé, j’ai été contactée par sa styliste, c’était un dimanche, je m’en souviens. Elle m’a informé que pour cette première participation de la princesse Delphine au défilé national, ma marque avait été retenue avec deux autres labels pour proposer des pièces. Il fallait faire vite car la princesse partait en vacances quelques jours après et elle voulait régler cette partie avant son voyage. J’ai dû chercher les informations sur sa morphologie, les couleurs qui pourraient lui aller, etc. L’avantage est qu’il s’agit d’une femme, artiste et audacieuse donc elle correspond à ma clientèle qui aime bien les choses un peu différente. Très vite, j’ai pu faire une petite sélection, j’ai envoyé quelques photos et quelques pièces ont été retenues. Je suis arrivée chez elle pour les essayages. La deuxième robe proposée à été retenue. Le béret a ensuite été fait sur-mesure à l’atelier. C’est allé très vite, tout s’est fait en quelques jours.
Il y a eu cette grande vague, cet emballement médiatique que je n’avais pas vu venir. J’ai fait la Une de quasiment tous les journaux néerlandophones.
Il y a-t-il eu un changement au niveau de votre notoriété après le 21 juillet 2021?
Oui, il y a clairement une évolution au niveau de ma marque. J’ai commencé en 2016, mais c’étaient les débuts, il n’y avait rien de sûr. En 2017, j’étais enceinte de ma deuxième fille et j’ai dû réduire mes activités. En 2018, je reprends mon projet car il me tient à cœur, je suis même une formation en management de la mode. J’ai vraiment senti un changement entre 2019-2020. D’habitude, je dois contacter les journalistes pour communiquer sur mes évènements et à partir de cette période, ce sont eux qui venaient vers moi. Il y a des journaux locaux et même la chaîne nationale, la RTBF, qui me contacte, je suis nominée dans la catégorie mode, design, gastronomie à l’évènement belge « Les meilleurs de l’année » et je gagne ce concours. Donc il y avait déjà un changement depuis une bonne période et l’évènement du 21 juillet a été la cerise sur le gâteau. J’étais en vacances, il y a eu cette grande vague, cet emballement médiatique que je n’avais pas vu venir. J’ai fait la Une de quasiment tous les journaux néerlandophones. Il y a clairement un changement au niveau de la couverture médiatique de ma marque, je dois le reconnaître.
Comment envisagez-vous d’utiliser cette nouvelle médiatisation?
Je pense qu’il est très important de faire les choses pas à pas. Les fondations doivent être bien positionnées parce que rien n’est encore acquis, je me dis que je suis encore à mes débuts. Mon idée est d’avoir un espace dédié à cette création contemporaine, afropolitaine qu’est Erratum Fashion. Je veux continuer ce que j’ai déjà entamé mais j’aimerais aussi avoir un espace où les gens pourraient découvrir mon univers, où il serait possible d’avoir des échanges autour de la mode ou des bouquins sur la mode, le design. Je veux avoir ces échanges avec des créateurs qui viennent d’Afrique. S’interroger sur notre contribution à l’évolution de la mode africaine sur la scène internationale.
Contrairement à ce que beaucoup pense, « Erratum Fashion » ne signifie pas « erreur » mais « correction des erreurs ».
Comment est née Erratum Fashion ?
A la suite d’un voyage au Sénégal, j’ai commencé à me poser beaucoup de questions. Lors de ce voyage, j’ai acheté des tissus, beaucoup de tissus, sans vraiment savoir ce que j’allais en faire. J’ai commencé par confectionner une combinaison, puis une robe, un short, etc. J’ai commencé à me faire ma petite garde robe, avec des pièces qui me ressemblent, des tenues colorées. A cette même période, nous avons assisté à un évènement avec ma fille. Sur place, elle a pris un flyer qui faisait la promotion d’un centre aquatique et elle a été attristé de ne pas se sentir représentée puisqu’il n’y avait que des familles blanches, j’ai immédiatement eu un déclic. Je pense que le fait d’être retournée en Afrique, d’avoir vu la dynamique au niveau de la création, qui est très loin de l’image négative qui est présentée dans les médias occidentaux, ont été des éléments qui ont ouvert mon esprit et celui de ma fille. Je ne pense pas qu’elle aurait fait cette remarque si nous n’avions pas fait ce voyage.
Toutes ses questions ont été comme une révélation pour moi. J’avais acheté tous ces tissus sans vraiment savoir ce que j’allais en faire et là j’ai eu mon déclic et j’ai su que j’allais créer une marque. C’était en 2016, j’ai commencé à créer des pièces inspirées de l’Afrique mais j’ai aussi voulu garder un lien fort avec la Belgique donc la production se fait ici à Bruxelles. J’ai trouvé un atelier qui travaille avec des personnes éloignées du marché de l’emploi. Ces travailleurs sont quasiment tous d’origines étrangères, il y a des guinéens, des syriens, des maghrébins, des togolais, etc. C’est une initiative qui me ressemble donc j’ai voulu collaborer avec eux et c’est ainsi que le projet a vu le jour. A l’époque, ce n’était vraiment pas évident, l’atelier est situé à Molenbeek et la commune souffrait d’une très mauvaise réputation suite aux attentats de Paris. Lorsque j’envoyais mes communiqués et que je présentais ma marque « belge inspirée par l’Afrique », ce n’était pas vendable, ça n’attirait pas. J’ai eu ma première opportunité lors de l’ouverture du Kanal-Centre Pompidou, en collaboration avec le musée Pompidou de Paris. Ils ont inauguré un espace créateur et il y a eu un appel à candidature, auquel j’ai répondu. Il fallait présenter un projet, passer devant un jury et le défendre. J’ai su que ma marque devait y être et ce projet a été très porteur pour moi. C’est là-bas que j’ai pu rencontrer ma clientèle qui est diversifiée, belge et afrodescendante.
Que signifie Erratum Fashion ?
L’idée est partie d’une interrogation, d’une envie intime. J’ai commencé à créer mes pièces pour moi et puis cette envie intime a touché aussi ma fille à travers son interrogation. J’ai voulu utiliser ce que j’aime, la mode, pour toucher un grand nombre de personnes. La mode est un bon moyen de véhiculer des messages, c’est un langage universel. Mon message, c’est la diversité, cette envie de représentation. Bruxelles est très diversifiée mais cela ne se voit pas dans toutes les institutions et c’est ce que ma fille a ressenti. C’est ainsi que j’ai trouvé ce nom « Erratum Fashion ». Contrairement à ce que beaucoup pense, cela ne signifie pas « erreur » mais « correction des erreurs ». Cette idée de correction est tellement importante, c’est ce que j’essaie de faire, corriger ce déficit à travers ma marque, raconter ce manque de visibilité. Dire que nous sommes là et que nous apportons aussi de la richesse, de la diversité dans ce paysage belge.
Qui est Siré Kaba ?
Je suis d’origine guinéenne, mon père était un diplomate, j’ai grandi entre la Tanzanie et le Ghana et je suis arrivée en Belgique à l’âge de 15 ans et demi. J’ai terminé ma scolarité ici, je suis rentrée à l’université et j’ai fait ma vie ici. Je ne suis plus rentrée en Afrique pendant plus de dix ans. Lorsque ma fille avait environ sept ans, nous avons décidé avec mon ex-compagnon, qui est belgo-malien, d’y retourner pour se ressourcer. Un voyage qui m’a permis d’avoir des réponses et qui a conduit à la création d’Erratum Fashion. En plus de ma marque, je collabore aussi avec le festival Afropolitan organisé par le Palais des Beaux-Arts de Bruxelles. Il est centré sur la créativité afropolitaine et durant tout un week-end, la gastronomie, la peinture, les livres, les débats et la mode sont à l’honneur.