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Phoebe Philo : D'abord la femme, ensuite les vêtements

By Nora Veerman

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Phoebe Philo en octobre 2016 Credits: PATRICK KOVARIK / AFP

Phoebe Philo se lance seule. Après une décennie tonitruante en tant que directrice artistique chez Chloé et Céline, suivie de cinq années de silence radio assourdissant, Philo a annoncé le lancement de sa propre marque en septembre, avec une participation minoritaire du groupe LVMH. La griffe portera son nom, pas n’importe lequel puisque les simples mots Phoebe et Philo suffisent de nos jours à faire défaillir des milliers d'aficionados de la mode. Mais que représente réellement la créatrice de mode ? Qu'est-ce qui a caractérisé son travail jusqu'à présent et à quoi pouvons-nous nous attendre pour sa marque ?

L’enfant espiègle de Londres

Phoebe Philo est née à Paris de parents britanniques. À l'âge de deux ans, sa famille déménage à Londres, où la créatrice grandit. On raconte qu'elle customisait déjà ses propres vêtements à l'adolescence. Il était donc naturel pour elle de poursuivre ses études à la Central Saint Martins, célèbre académie de mode. La jeune femme obtient son diplôme en 1996. Quelques années plus tard, The Guardian décrira sa collection de fin d’études, mettant en avant des influences tirées de la culture sud-américaine et la présence de bijoux en or. Un travail qui témoignait du « talent de Philo tant pour la coupe que pour le stylisme », déclarait alors le journal britannique.

À l'université, Phoebe Philo se lie d'amitié avec une autre créatrice : Stella McCartney. Elle obtient son diplôme un an avant Philo et commence à travailler chez Chloé à seulement 25 ans. Peu de temps après la fin de ses études à la Central Saint Martins, la créatrice rejoint McCartney à Paris. Officiellement, elle y travaillait en tant qu'assistante designer, mais selon le magazine The Face, Phoebe Philo était également la « styliste, amie, consultante en casting, thérapeute, muse et bras droit » de Stella McCartney chez Chloé.

À première vue, la combinaison peut paraître folle : Chloé marque de luxe raffinée, dirigée par deux jeunes filles rebelles de Londres. McCartney portait des vestes surdimensionnées, Philo arborait une dent en or. « Nous étions inséparables », déclarait McCartney au magazine Time en 2014 au sujet de sa collaboration avec Philo. « À Paris, nous travaillions côte à côte, les enfants turbulents de Londres chez Chloé. »

Chloé printemps-été 2000 Credits: Catwalkpictures Archives

Les années chez Chloé

McCartney a laissé une marque indéniable chez Chloé. Elle combinait des styles contemporains avec des influences vintage et des imprimés audacieux. La collection printemps 2000 en est un exemple parfait, comprenant des costumes à revers pointus et des hauts à franges, ainsi qu'un micro bikini doré et un tee-shirt imprimé d'un crâne aux oreilles de lapin. Les collections de McCartney étaient ponctuées d'influences de la scène club et d'éléments de lingerie. « Joueur, sexy, romantique » et « distinctement britannique », écrivait le média AnotherMag à propos de ses collections. « Une combinaison du savoir-faire de Savile Row et de l'audace du pouvoir féminin. »

Bien qu'elle soit officiellement la « numéro deux », on estime que Philo a joué un rôle significatif dans la conception des collections à l'époque. Lorsque McCartney a quitté la marque en 2001 pour lancer sa propre marque, Philo est restée en tant que directrice artistique. Son travail était moins direct, moins rock 'n roll, se dirigeant davantage vers une élégance décontractée et sophistiquée. Son premier défilé solo pour Chloé en 2002 présentait de nombreuses silhouettes aériennes blanches avec des motifs floraux luxuriants et des tissus ajourés. Les looks étaient toujours sexy, mais moins explicites et provocants.

Chloé printemps-été 2002 Credits: Catwalkpictures Archives
Chloé printemps-été 2002 Credits: Catwalkpictures Archives

Grâce à son instinct affûté, la créatrice de mode a très bien su saisir le mode de vie des jeunes femmes et comment parvenir à les séduire. « Phoebe Philo touche une corde que presque personne d'autre ne peut atteindre », déclarait la critique de Vogue, Sarah Mower, à propos de sa collection printemps 2005. « Une ambiance de beauté décontractée » Elle présentait des robes, des jupes et des blouses amples dans des tissus brillants avec des bordures en dentelle et des volants. De manière saisissante, le résultat n'était toutefois pas onirique ou délicat, mais plutôt décontracté et cool, associé à des écharpes décontractées, des vestes militaires et des boutonnières à moitié ouvertes. La collection avait « ce facteur indéfinissable », selon Mower.

Introduit par Philo en 2005, le sac Paddington, réalisé à partir de cuir souple avec un grand cadenas à l’avant, avait également ce « facteur indéfinissable ». Au début des années 2000, l’accessoire était porté par les plus grandes célébrités de l'époque parmi lesquelles les sœurs Hilton, Nicole Richie et Mischa Barton. Les ventes mondiales de Chloé ont connu une augmentation de 60 pour cent au cours de l’année de sortie du sac.

Durant ses cinq années à la tête de Chloé, la créatrice est restée constamment à l'écoute des tendances. Des shorts élégants estivaux aux vestes festives en passant par de doux manteaux d'hiver avec des poches, elle a toujours su trouver le juste milieu entre beauté et fonctionnalité, élégance et nonchalance. Ses collections étaient également toujours innovantes. Sa dernière pour Chloé a modernisé la maison de luxe, lui insufflant « un vent de fraîcheur, des proportions et une vitalité », écrivait Sarah Mower à l'époque. La collection printemps 2006 présentait des robes trapèzes blanches avec des broderies, des jupes et des vestes soignées, inspirées du style chic des grands-mères des années 1960, mais résolument modernes grâce à leurs lignes épurées.

Chloé printemps-été 2005 Credits: Catwalkpictures Archives
Chloé printemps-été 2006 Credits: Catwalkpictures Archives

En 2006, Phoebe Philo quitte Chloé pour se concentrer davantage sur sa famille. Ce choix, bien que compréhensible, était peu courant pour une créatrice au sommet de sa carrière. Il correspondait toutefois à la personnalité de la créatrice : d'abord la femme, ensuite les vêtements.

Phoebe Philo chez Céline

Le début des années 2000 a été marqué par un culte pour la célébrité où la renommée et l'opulence étaient ouvertement affichées à travers des sacs coûteux, des strass et de grandes lunettes de soleil. Mais la mode est et a toujours été un moyen de répondre et d’inverser la tendance. Le changement est arrivé avec l'émergence de la mode minimaliste dans la deuxième moitié de la décennie. Un exemple typique de cette évolution était le lancement de Cos, l’enseigne au style plus classique du groupe H&M, en 2007. La montée du minimaliste a été renforcée par la crise financière des subprimes. Cette dernière a marqué un retour vers des looks intemporels avec moins d'ornements. « La mode est sérieuse », titrait Vogue.

Ce changement de style s’est aussi accompagné d’une nouvelle vision de la femme désormais travailleuse, plus réaliste, qui n'était pas friande de paillettes et de glamour, mais qui recherche des pièces simples, pratiques et confortables tout en dégageant une certaine élégance. Lorsqu’elle rejoint la maison de luxe Céline en 2008, Phoebe Philo répond aux nouvelles attentes des femmes.

La créatrice débute chez la griffe avec la collection resort 2010. Son travail suscite immédiatement des critiques élogieuses. « Confiante, parfaite et adaptée aux femmes » sont autant de qualificatifs utilisés par la journaliste Nicole Phelps pour décrire la collection sur Vogue Runway. Cette dernière était impeccablement coupée et élégante, sans trop de fioritures, mais avec des détails sophistiqués tels que des ourlets asymétriques soigneusement travaillés et des tissus dotés d'une légère brillance métallique. Son esthétique marquait un fort contraste avec prédécesseurs Michael Kors et Ivana Omazic, avec leurs imprimés tropicaux, couleurs océaniques et références au tennis et aux sports automobiles.

Chez Céline, l’expérience significative de Phoebe Philo s’est ressentie dans sa manière d’appréhender la mode. La collection printemps 2010 en est un exemple parfait, caractérisée par des pantalons longs avec des hauts amples et des robes en cuir au look simple. Moins de couches, moins de boutons, moins de ceintures et une plus grande attention portée aux lignes et aux matériaux. « Je me suis dit : je vais faire un peu de rangement », confiait la créatrice au sujet de la collection, décrivant sa nouvelle vision de « minimalisme contemporain ». Sarah Mower a vu dans les « lignes précises et la formule simple d'éléments luxueux et sportifs » le résultat d'une « mission visant à rendre la fonctionnalité classique sexy ». La force de la collection ne transparaissait peut-être pas dans les photographies du défilé, écrivait Mower, « mais chaque jeune femme dans la salle l'a ressentie. » Après le défilé, une vague collective de désir a traversé le public, selon la critique. Ce désir se traduira plus tard par des chiffres de ventes extraordinaires.

Céline PE10 Credits: AFP

Des vêtements pour toutes les occasions

Dans les collections qui ont suivi, Philo a réussi à viser juste à maintes reprises. Pour aller faire du shopping, autour d’un repas ou s’amuser en club, le Céline de Phoebe Philo s’adaptait à tous les moments de la journée. Pantalons flatteurs, blouses élégantes, tricots épais et manteaux structurés offraient aux femmes un large éventail d'options. Alors que la sévérité initiale de la récession s'était estompée et que les achats étaient de nouveau impulsifs, le travail de Philo est quant à lui resté discret. L'assurance calme de son vestiaire a contourné la crise financière, tout comme la demande des femmes pour le luxe moderne et polyvalent qu'offrait Philo.

Ses collections étaient pensées non seulement pour chaque moment de la journée, mais aussi pour toutes les étapes de la vie. Philo l'a clairement démontré dans les campagnes de Céline qui mettaient en vedette des mannequins de différents âges. En 2015, la romancière américaine Joan Didion, alors âgée de 80 ans, a posé pour la maison dans une robe noire et des lunettes de soleil surdimensionnées.

Philo elle-même qualifiait parfois son travail de minimaliste, mais elle était également étiquetée comme minimaliste par d'autres en raison de son utilisation limitée d'ornements et d'imprimés. Cependant, ceux qui considèrent le travail de Philo comme purement minimaliste ont tendance à mettre l'accent sur le côté sérieux de son travail et passent à côté de l'audace et de la fantaisie qui ont émergé au fil des années.

Céline PE13 Credits: AFP
Céline PE14 Credits: AFP

Pour la saison printemps 2013, Philo a introduit de larges claquettes et des escarpins jaune vif à poils tandis que l’année 2014 s’est traduite par des imprimés semblables à des graffitis et de découpes géométriques. La collection printemps 2017 a présenté une robe avec un imprimé dérivé d'une peinture d'Yves Klein. De plus en plus de couleurs vives et de silhouettes surdimensionnées ont fait leur apparition. La créatrice s’autorisait parfois même des plaisanteries conceptuelles comme des escarpins qui ressemblaient à des pieds nus avec des ongles rouges peints pour le printemps 2013 ou des ceintures en forme de maillons de chaîne agrandis, sertis de pierres scintillantes à l'automne 2016. Le dernier défilé de Philo pour Céline, peu de temps avant son départ soudain en 2018, a présenté à la fois des drapés classiques et des vestes déstructurées au niveau des épaules à la manière de Balenciaga.

Un style signature

En bref, il est difficile de résumer le style signature de Phoebe Philo en seulement quelques mots. Au fil des années chez Chloé et Céline, son travail tout comme elle ont évolué, influencé par sa propre vie et les femmes qui l’entouraient, passant d’un style jeune et décontracté à une vision plus confiante et artistique. Alors plutôt que de se demander ce que sa marque offrira, il est peut-être plus facile de se demander : de quoi les femmes contemporaines ont-elles besoin ? À la suite de la crise sanitaire et face à une incertitude géopolitique persistante, peut-être est-ce le confort - des silhouettes souples, des matériaux fins - mais aussi des vêtements qui procurent confiance et puissance dans un monde qui reste instable. La façon dont Philo répondra à ces attentes est tout aussi imprévisible. Au cours de sa longue carrière, elle a montré qu'elle pouvait non seulement répondre aux besoins existants, mais aussi les anticiper.

Cet article a initialement été publié sur FashionUnited.nl. Il a été traduit et édité en français par Aéris Fontaine.

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