Made in France : les ateliers français attirent les donneurs d’ordre étrangers
7 avr. 2025
Le salon Made in France by Première Vision, qui s’est tenu les 2 et 3 avril 2025, a permis de mettre en lumière un phénomène émergent : le trio Paris Fashion Week, Paris capitale de la mode et la mention « fabriqué en France » est un tiercé gagnant pour conquérir des marchés étrangers. Explications.
La France peut pousser un petit « cocorico » car, à l’heure où la mode (et par extension la société) s’est définitivement polarisée – d’un côté la fast fashion, de l’autre le luxe ou le premium – les ateliers de confection français, qui ont misé sur la deuxième option, voient arriver des commandes de la part de marques étrangères. Ces dernières souhaitent bénéficier de la mention « fabriqué en France » pour valoriser leurs produits et ainsi cibler une clientèle qui se soucie moins du prix que de la qualité.
Contrairement à Première Vision Manufacturing Villepinte, pour lequel les organisateurs reçoivent beaucoup plus d’étrangers, pour l’instant, le visitorat du salon Made in France est constitué à 95 % d’une clientèle française. Soit 5 % issus de Belgique, Italie, USA, Allemagne, Pays-Bas et Royaume-Uni. « Un pourcentage globalement stable, mais en augmentation de 1 % par rapport à 2024, explique Claudie Le Souder, directrice marketing et communication Première Vision, à FashionUnited. C’est un signal faible que nous surveillons en tant que tel pour identifier s’il peut, ou non, devenir une méga trend et illustrer le fait que le marché est en train de bouger. »
Les façonniers français sont-ils la bonne réponse aux besoins des marques haut de gamme étrangères ?
Ce phénomène émergent a d’abord été identifié par la Maison du Savoir-Faire et de la Création qui, financée par le Défi en tant que mission d’intérêt général et de promotion des savoir-faire, se doit de faire des statistiques de performances en fin d’année. « Fin 2024, on s’est aperçu que de 10 %, le chiffre des visiteurs de la plateforme, venant de l’étranger, était passé à 16 %, explique Sylvie Maignan, responsable de mission, au micro de FashionUnited. Les 580 entreprises françaises inscrites sur le site étaient toutes référencées en français, ce qui faisait désordre. De fait, nous avons décidé de tout traduire en anglais ».
Ces donneurs d’ordre viennent d’Europe, en particulier de Scandinavie, des États-Unis (même si le contexte politique risque de changer la donne), du Canada et du Japon. Ce sont de très gros acteurs du luxe (noms non communiqués), dont un qui est en train de créer une unité en France pour y fabriquer, et de plus jeunes marques, profil designers.
Petit bémol à cet enthousiasme naissant, le prix de revient de la façon française qui reste supérieure à l’italienne. Cependant, les critères de sélection peuvent évoluer, comme le prouve le témoignage du fabricant français Fabrice Scotté (L’Ascenseur) : « L'État français, qui souhaite reproduire en France, a inversé les notations des appels d’offres. Autrefois, le prix du produit représentait 70 % de la notation, ce qui nous mettait en porte-à-faux. Maintenant, le dossier technique représente 60 % de l’estimation. CQVD que si nous faisons de la qualité, nous pouvons répondre aux offres publiques. »
Industrie du luxe, Paris Fashion Week et Paris capitale de la création : le tiercé gagnant du Made in France
Le type de savoir-faire français recherché est la confection chaîne et trame pour des produits variés (vestes, pantalons) et la technique du flou (méthode utilisée principalement dans la couture pour créer des vêtements souples, légers et déstructurés), particulièrement réputée. « La France a conservé ce savoir-faire, ce qui est le plus dur, car cela signifie travailler avec des matières difficiles à travailler comme la mousseline, l’organza ou la dentelle », ajoute Sylvie Maignan.
Ils sont attirés par la mention d’origine « made in France » et l’aura de la fashion week parisienne. « Nous avons conservé le haut de gamme et si, à cause de quarante ans de délocalisation, les grands retailers sont partis, les ateliers qui sont parvenus à se maintenir sont montés en compétence. Ils ont tous optimisé leur savoir-faire pour répondre au seul secteur qui leur permet d’exister : le luxe. »
« Par ailleurs, signale la responsable, nous offrons un nouveau service de webinaires pour les porteurs de projets issus, notamment, des écoles de commerce, qui sont nombreux à vouloir faire de la mode, mais n’y connaissent rien. » Un sujet annexe qui signe le potentiel commercial de la fabrication dans l’hexagone.
Contrairement aux maroquiniers qui ont été, pour la plupart, happés par les acteurs du luxe français, la majorité des façonniers restent indépendants, certains sont constitués de petits ateliers (moins de dix grands groupes). De fait, ils sont libres. Et discrets, comme FashionUnited a pu s’en rendre compte en allant recueillir des témoignages pour attester cet état de fait.
Féoni renforce ses troupes pour répondre à la demande étrangère
« Nous avons traversé les deux dernières années grâce aux comptes asiatiques et américains que nous avons rencontrés sur les salons et via notre site Internet. Ils aimeraient tous fabriquer en France, mais ils ne trouvent pas facilement de fabricants disponibles. Ils ont besoin d’informations et donc de personnes qui parlent anglais et, du coup, se tournent encore vers les façonniers italiens qui bénéficient d’une meilleure visibilité globale.
Nos clients recherchent la sophistication de nos techniques, notre créativité, notre façon d’interpréter et de donner vie aux dessins. Le fait que nous réalisions les prototypes pour les maisons de luxe, parfois, pour les défilés, en 48 ou 72 heures, renforce notre attractivité. Pour répondre aux demandes, nous sommes passés à dix employés, avec la création d’un atelier inclusif, au Val-de-Reuil (Normandie) pour les personnes en situation de handicap », Floire Loidon, cofondatrice et cheffe de projets de Féoni, bureau d’études et de production agile.
L’Ascenseur, des donneurs d’ordre venus d’Asie et de Tunisie
« Nous sommes spécialisés dans les vêtements de travail sur mesure et sommes sollicités par des marques étrangères qui souhaitent étoffer leur gamme pour bénéficier de produits, certes un peu plus chers, mais de qualité. Ce, pour rester en place sur le marché concurrentiel. Ces donneurs d’ordre viennent d’Asie ou de la Tunisie », Fabrice Scotté, directeur de L’Ascenseur.
Atelier Léopoldine, des demandes venues d’Allemagne, Belgique, Bali et Porto Rico
« Jusqu’à maintenant, nous travaillions uniquement pour la clientèle française, mais, depuis que nous faisons les salons, nous répondons à des demandes étrangères. Une cliente allemande nous a envoyé un mail en amont du salon Made in France pour être sûre que nous y exposions et pour savoir si nous parlions anglais. Elle nous a dit « en Allemagne, nous fabriquons des uniformes, des sièges et des volants de voiture, mais on ne fait pas de mode. Nous n’avons ni l’affect, ni les ateliers pour ». J’imagine qu’elle m’a connu via mon site Internet ou en faisant une recherche Google.
Des Belges, rencontrés sur le salon Interfilière, sont également venus nous voir. De même qu’un Portoricain et des personnes qui font fabriquer des maillots de bain à Bali, mais auxquelles il manque la récurrence, la rentabilité, le réassort rapide et la rigueur. Nous sommes basés à Pau, fêtons nos dix ans et travaillons les petits volumes (dix pièces au modèle). Nous sommes les seuls à le faire », Véronique Bouchs, fondatrice modéliste de l’Atelier Léopoldine.
Laulhère, les bérets militaires français ont la cote
« Laulhère pour Plein Ciel, qui est notre marque pour la fabrication de bérets militaires, est fournisseur de l’armée française, mais également des armées belges, africaines et d’autres qui varient en fonction des appels d’offres. En début d’année 2025, nous avons reçu des demandes de cotations plus importantes que la moyenne de la part de pays étrangers. Nous cherchons à développer le marché international tant pour notre marque blanche que pour notre griffe en propre », Rosabelle Forzy, Laulhère.
Chantelle, la lingerie séduction made in France fait des émules
« En faisant du made in France sur Épernay, nous nous attendions à avoir une clientèle exclusivement française et finalement, depuis 2024, nous sommes démarchés par des clients venus de l’étranger, nous faisant rentrer dans des problématiques auxquelles nous ne nous attendions pas : formalités douanières, langue anglaise, etc. Ils viennent chercher notre expertise.
Les premiers arrivés furent les Italiens, ce qui est assez étonnant, puis la Corée du Sud et les USA. Ils ciblent notre savoir-faire en corseterie/lingerie, des produits de séduction. Même si ce segment représente aujourd’hui moins de 10 %, il est en augmentation et il faut capitaliser dessus. Notre visibilité et notre image de marque ont été accrues grâce à des collaborations avec des créateurs qui défilent à la fashion week Paris, Esther Manas et feu Victoria/Thomas. Notre atelier comporte 85 employés », Cindy Demangeot et Nicolas Godart, équipe Chantelle.
- Le salon Made in France by Première Vision révèle un intérêt croissant des marques étrangères pour le "fabriqué en France", attirées par la qualité et l'image de la mode parisienne.
- La Maison du Savoir-Faire et de la Création observe une augmentation des visiteurs étrangers sur sa plateforme, notamment de Scandinavie, des États-Unis, du Canada et du Japon, signe d'un potentiel commercial pour la fabrication française.
- Des entreprises françaises comme Féoni, L'Ascenseur et Atelier Léopoldine témoignent d'une demande étrangère croissante, soulignant l'attrait pour le savoir-faire français, la créativité et la capacité à répondre rapidement aux besoins des clients.