Munich Fabric Start & Bluezone : Tendances PE26 entre durabilité, sécurité et prise de risques
4 févr. 2025
Dans un monde de contradictions, les collections de tissus pour la saison Printemps/Été 2026 oscillent elles aussi entre différents extrêmes. Certains créateurs misent sur la sécurité et les essentiels intemporels, tandis que d’autres explorent des styles plus audacieux et singuliers. Mais un autre enjeu prévaut sur ces tendances : la transformation durable et la conformité aux normes européennes de production textile.
Après deux jours d'exposition, le salon international du textile Munich Fabric Start, avec ses concepts show-in-show Bluezone, Keyhouse et The Source, s'est achevé hier. 625 exposants internationaux y ont présenté environ 1 200 collections, dévoilant les dernières innovations en matière de matériaux pour le Printemps/Été 2026, accompagnées d’un vaste programme de conférences sur les enjeux actuels du textile et de la mode. Comme les années précédentes, ces échanges ont principalement porté sur la durabilité et la mise en conformité avec les réglementations européennes en vigueur et à venir. Les échéances approchent, et 2030 constitue une étape clé vers la neutralité carbone prévue pour 2050, avec des objectifs cruciaux à atteindre d’ici là.
Tendances : un jeu entre non-conformisme risqué et basiques sûrs
Outre l’introduction de nouveaux tissus pour l’été 2026, la maîtrise des coûts s’est imposée comme une préoccupation majeure. « L'inquiétude gagne le secteur », confie un créateur souhaitant rester anonyme. « De moins en moins de marques investissent dans la créativité, tout le monde cherche à sécuriser ses ventes avec des basiques. » Pourtant, paradoxalement, ce qui séduit le plus n'est pas la simplicité, mais l'audace et la surprise—un pari néanmoins difficile à anticiper.
Cette contradiction se reflète dans les espaces de tendances du Munich Fabric Start. D’un côté, des thématiques comme « Unorthodox », « Limitless » ou « Not Reproducible » prônent des looks personnalisés, des ruptures stylistiques radicales et des associations audacieuses de motifs. De l’autre, des thèmes comme « Lasting », « Emotional Heritage », « From the Archive » ou « Timeless Modernity » célèbrent les couleurs, les imprimés et les contrastes classiques. Plus généralement, identifier les tendances devient un exercice de plus en plus complexe, d'autant plus que les acteurs de la fast fashion, tels que Shein, répliquent immédiatement toutes les influences, qu'elles viennent des podiums ou de la rue.
Le denim entre tradition et innovation
Le denim reste ancré dans une esthétique urbaine. « Je pense que la silhouette super-oversized va perdurer », analyse Tilmann Wröbel, fondateur du studio Monsieur-T. Denim Lifestyle Studio, qui a conçu les espaces de tendances de Bluezone et animé une conférence sur les grandes orientations du secteur.
Alors que la mode standard peine aussi dans le denim, le secteur explore des stratégies pour capter l’attention sans prendre de risques majeurs. Des collaborations innovantes, comme Levi’s avec Lego ou Diesel avec Coca-Cola, insufflent une nouvelle dynamique. « Reconstruct », autre grande tendance du denim, évoque visuellement l’upcycling tout en jouant avec les codes iconiques des marques. Wröbel note également un regain d'intérêt pour les labels phares des années 2000, dont le renouveau s’accélère—True Religion en étant un parfait exemple. L’essor du marché de la seconde main s'inscrit également dans cette dynamique : en valorisant des pièces uniques, il échappe à la reproductibilité de la fast fashion. Wröbel cite l'exemple de Coperni, qui a intégré des pièces vintage à son défilé aux côtés de sa collection principale. « Il y a cinq à dix ans, il aurait été impensable que des vêtements de seconde main soient aussi pertinents sur le plan mode que des pièces neuves. Aujourd’hui, ils sont perçus comme tout aussi désirables. »
Le fournisseur de denim Isko a apporté à Munich de nouveaux aspects visuels avec sa nouvelle collection Multitouch. Grâce à la chaleur, il est possible d'appliquer aux tissus des effets très variés, tels que des plis ou des motifs gaufrés. « Les créateurs veulent avoir plus de possibilités avec un même tissu », explique Keith O'Brien d'Isko. La collection Isko Luxury by PG s'est également montrée opulente, comme à son habitude, avec par exemple des carreaux et d'autres motifs tissés avec de véritables fils d'argent.
Technologies et durabilité : le denim en quête d’écoresponsabilité
L'innovation textile progresse vers une réduction de l’empreinte écologique, notamment à travers de nouvelles technologies de teinture. Les entreprises Sonovia Tech (Israël) et Synovance (France) ont dévoilé des avancées prometteuses.
La technologie de Sonovia repose sur des ultrasons, réduisant de 85 % la consommation d’eau et éliminant les produits chimiques toxiques. « Cette technologie va révolutionner la fabrication du denim », affirme Annabelle Evenhaime de Sonovia, précisant que cette méthode est déjà en cours d’industrialisation et sera déployée sur plusieurs sites en 2025, notamment en partenariat avec Kering.
De son côté, Synovance développe un procédé de teinture biologique permettant de recréer l’indigo sans recours au pétrole ni production de substances toxiques. « Notre objectif est de rivaliser avec l’indigo synthétique d’ici cinq à six ans », explique Efthimia Lioliou, cofondatrice de Synovance. « D’ici une décennie, nous pensons que les colorants biologiques deviendront la norme pour la majorité des applications textiles. »
Nearshoring du denim : une alternative viable ?
Les chaînes d’approvisionnement de l’industrie textile ont été mises à l’épreuve ces dernières années. Avec l’élection de Donald Trump aux États-Unis, les incertitudes sur l'évolution du commerce mondial se multiplient. Lors d’une table ronde intitulée « Blue Made in the EU », des experts ont débattu du potentiel de relocalisation de la production de denim en Europe.
Bien que largement délocalisée, la filière européenne existe encore : de la culture du coton en Grèce et en Espagne aux étapes de filature, tissage et teinture, le savoir-faire demeure. L’italien Candiani, par exemple, a mis au point un denim composé à 70 % de fil post-consommation et à 30 % de coton régénératif, tout en conservant robustesse et durabilité. « Nous devons nous inspirer du secteur automobile », affirme Stefano Tessarolo du spécialiste Jeanologia, qui mise sur l'automatisation et la numérisation pour rendre la production plus compétitive en Europe.
Une chaîne d'approvisionnement européenne offrirait aussi une transparence accrue. George Kitas, de Nafpaktos Textile Industry en Grèce, collabore avec des producteurs locaux pour garantir une traçabilité totale. Toutefois, l’efficacité de cette transition repose sur l’application stricte des réglementations européennes. « 77 % des produits vendus en Europe sont importés », souligne Simon Giuliani de Candiani. « En théorie, ils doivent respecter les mêmes normes que les articles produits sur le continent, mais l'absence de contrôle reste un problème majeur. »
Vers une mode circulaire et transparente
L’économie circulaire ne relève plus seulement du concept : elle devient une réalité opérationnelle. De nombreuses entreprises, start-ups et instituts explorent des solutions pour boucler le cycle des matériaux.
Le projet Retrakt, mené par l’université RWTH d’Aix-la-Chapelle et le DTB, se penche sur l'intégration de la durabilité dans les processus d’entreprise. En parallèle, la Texroad Foundation aux Pays-Bas s'efforce de structurer le marché du recyclage post-consommation. « Nous devons identifier précisément les volumes collectés, réutilisés, recyclés ou mis au rebut pour optimiser la chaîne de valeur », explique Traci Kinden, sa fondatrice. « Une plus grande transparence dans la chaîne d’approvisionnement du recyclage renforcerait la confiance des consommateurs. »