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Fashion week: qui séduire?

By FashionUnited

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Fashion

La fashion week est un immense buffet garni où la presse et surtout les acheteurs picorent à leur gré. Il est impossible, inutile et même dangereux de tout avaler mais pas question pour autant de louper un plat de choix. D’autant plus

que les chiffres qui viennent de tomber (et on ne parle pas ici de température ni de flocons) annoncent qu’il va falloir être très concentré car le consommateur n’est plus en état de tout digérer. Pour la cinquième année consécutive, les ventes d’habillement ont baissé, et tout indique que l’année 2013 suivra le même régime. Cette perspective devait certainement peser sur l’estomac de tous les acheteurs qui ont envahi Paris pendant les cinq jours de défilés de mode masculine, de présentations, de show-rooms et de salons.

C’est
dans ces salons justement que l’analyse la plus convaincante, la plus fulgurante a été énoncée. C’était Samedi matin au petit déjeuner de presse du nouveau salon Tranoï Preview qui a choisi de proposer de la mode féminine aux acheteurs pendant « la première session ».

Tranoï, avant d’être une organisation, c’est un homme : Armand Hadida, connu comme le loup blanc pour être le fondateur de l’Eclaireur, c’est-à-dire l’inventeur du concept store. C’est aussi, certains l’ont découvert pendant ce petit déjeuner, un showman épatant et un formidable communicant qui charme son auditoire par la justesse de ses prémonitions.

L’argument massue tout d’abord : « avant d’être un organisateur de salons, je suis avant tout un acheteur. » C’est-à-dire – en sous-entendu – je connais ce qui se vend, mon succès le prouve, et je connais intimement vos préoccupations car je les éprouve moi-aussi. Vient ensuite l’analyse. Pour Hadida, les acheteurs de province, c’est fini. Les concept-stores vont s’éteindre peu à peu pour être remplacés par des enseignes. Constat à peine moins expéditif pour l’Europe, devenue hors sujet : ce n’est plus là qu’il faut placer ses pions et son énergie. Le vrai marché, celui vers lequel les créateurs doivent tendre tous leurs efforts, c’est la Chine. Les chinois consomment et achètent la mode créative française avec appétit. Le Moyen-Orient aussi suivi de la Russie. Viennent ensuite les Pays Emergents. Pour le luxe par exemple, le Comité Colbert vient de définir la Turquie comme cible privilégiée dans les années à venir. En clair, il faut penser large et loin, loin des sentiers battus surtout, les opportunités viennent de là. Hadida cite un important acheteur de Las Vegas pour parachever sa démonstration.

faut-il acheter ensuite ? Hadida ici, relève toute sa combativité et prêche avec force pour sa paroisse. Fini les vendeurs de mètres carrés loin du cœur de Paris (tout le monde ici comprend la flèche empoisonnée qu’il envoie aux organisateurs des importants salons de la porte de Versailles, le Who’s Next en tête) : d’après lui, les acheteurs veulent visiter les salons de taille humaine et ne veulent pas se priver de la fréquentation des défilés pour capter l’air du temps. Face à l’affolante abondance de propositions, il faut donc être à Paris : Tranoï s’est installé à la bourse du commerce et Tranoi Preview au carrousel du Louvre. Il conclut en indiquant que les salons de cet été qui seront en décalage par rapport à la fashion week de Juin font un mauvais calcul (Who’s Next repasse en début juillet pour la prochaine session pour s’aligner avec le salon de la lingerie). Ses adversaires auraient pu ici lui répondre que justement, face à la multiplication des marques, les acheteurs trouveront peut-être utile de pouvoir revenir à Paris puisqu’ils n’auront pas le temps de tout voir en Juin.

Toujours fidèle au thème du voyage, Louis Vuitton a intitulé son défilé automne hiver 13/14 « la montagne magique ». Un voyage littéral et métaphorique vers les cimes magiques de l’Himalaya et plus particulièrement vers le royaume du Bhoutan. Un royaume que les randonneurs n’ont pas souillé, où on ne pénètre qu’en y étant invité, et où le dépaysement n’est pas surfait. Exotique, sélectif, rare : la base du vocabulaire Vuitton.

Le royaume du Bhoutan, nous explique la maison, est le seul endroit au monde où les léopards des neiges et les tigres se croisent. Une bonne raison pour faire du léopard des neiges le motif central de la collection. C’est simple, on le retrouve partout. En apparition plus ou moins subtile sur des blousons ou des duffle-coats, sur un manteau de vison découpé au laser ou carrément en effigie sur un pull en tricot. Est-il utile de préciser que les matières sont somptueuses, beaucoup de fourrures comme de bien entendu, astrakan, castor, renard, vison, même en doublure (le luxe invisible, toujours un nec plus ultra) dans une palette que nous qualifierons de montagnarde : gris, crème et beige. Un cuir de taureau découpé en une seule pièce forme un pardessus fluide avec des poches découpées au laser. Quant aux doudounes, elles semblent avoir une douceur, une élasticité et une durabilité quasi maritime.

L’important,
dans ce vestiaire Premier de Cordée, c’est la référence constante au royaume de Bhoutan. Les 40 silhouettes grouillent de symboles et de référence à cette culture. Les couvertures en cachemire du royaume deviennent ici des ponchos, les carreaux et les rayures du costume national bhoutanais inspirent différents motifs. Les feutres traditionnels bhoutanais sont traités en cheveux de Yaks.

Kim Jones, le directeur du style au studio homme de Louis Vuitton (sous la direction artistique de Marc Jacobs) a demandé aux artistes Jake et Dinos Chapman de fournir les motifs principaux de la collection. « Je me suis assis avec Jake et nous avons évoqué l’idée d’un jardin en enfer » en référence à la fameuse expression utilisée par Diana Vreeland pour décrire son appartement.

Le pinceau des frères Chapman dessine avec grâce animaux anthropomorphes et autres créatures. Ces bestioles, explique Jake Chapman, incarnent l’idée bouddhiste de redoutables « divinités courroucées », investies de vertus talismaniques, passerelle entre le monde naturel et surnaturelle,. Ce fil narratif se déploie dans toute la collection pour exploser en triomphe dans un final très grand soir, d’une opulence inouïe : même ces chaussons de danse qui semblent être en velours sont en réalité en vison rasé.

En résumé, Vuitton nous invite cette saison à un voyage vers l’infini -les sommets lointains-, vers l’intime, la magie, le religieux – créatures à caractère bouddhiste qui protègent contre le mauvais œil - et enfin, vers l’immensité. Qu’on ne s’y trompe pas : tout ici flatte les vanités de l’extrême orient : immensité de l’espace et du temps, multiplicité des ethnies et des confessions, nous parlons bien ici en filigrane, de la Chine éternelle.

A la fin du défilé, les réactions dans la salle sont d’ailleurs frappantes : circonspection chez les occidentaux, murmures de bonheur chez les orientaux. Quelques jours auparavant, dans un contexte de consommation sinistré, des chiffres prouvaient que seul le luxe ne s’en sortait pas trop mal. Pour Pierre Pelarrey, directeur du Printemps Haussmann, les achats sont faits principalement par une clientèle internationale et il citait ce chiffre qui laisse songeur : la clientèle chinoise a explosé de plus de 200 % cette année.

La donne a donc changé, et le défilé Vuitton prouvera ceci aux quelques étourdis qui ne l’auraient pas encore compris : au royaume du luxe français, on sait très clairement qui est le client du futur.

(Hervé Dewintre)

Photo: Philippe Bonte
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