La mode en appartement
By FashionUnited
4 mars 2013
Douze designers,
A l’entrée, Celine Meteil et Lea Peckre, deux jeunes créatrices, la première bretonne, la deuxième parisienne, ont en commun d’avoir remporté en 2011 les prix plus prestigieux du festival international de mode et de photographie à Hyères. Dans son atelier d’Asnières, Celine Meteil, la petite trentaine, prend le temps de travailler les matières qu’elle a toujours aimé comme le jaconnat et le canevas, qu’elle modernise avec grâce. Sa voisine Lea Peckre semble animer par le même souci du détail et du développement des matières. L’architecte et la nature se confrontent dans ses silhouettes qui ont retenu récemment l’attention de Maria Luisa. Les deux jeunes femmes savent que la route sera longue mais elles se sentent prêtes : elles frappent par leur tranquille détermination.
Changement d’ambiance chez Brooke Taylor qui forme avec Nana Aganovich le duo créatif à la tête du label Aganovich. Ils ont toujours voulu présenter leurs collections à Paris, même lorsqu’ils étaient basés à Londres ( un conseil de Lady Amanda Arlech). Depuis la création de leur société française en avril 2011, ils produisent désormais en France et ont déménagé définitivement leur studio à Paris. Toute l’équipe est affairée avec des acheteurs. D’autres arrivent encore. Brooke a le temps de nous confier ses impressions sur cette opération, c’est la deuxième fois qu’il y participe : « c’est formidable, nous avons rencontré ici tous nos acheteurs, qui sont charmés par la sérénité du cadre, et nous en avons rencontré beaucoup d’autres. Par rapport aux saisons où nous présentions notre collection dans une suite d’hôtel, nous avons triplé notre chiffre d’affaire. »
Chaque
Franco-cambodgienne, née en 1979, Christine Phung aime avant tout trouver les belles histoires qui aideront ses vêtements à durer et à traverser les saisons tout en s’adaptant aux usages de leurs propriétaires. Les prix des concours (Grand Prix de la Création de la Ville de Paris en 2011, participation au prix Mango Awards en 2012) et les missions free lance lui permettent de financer ses collections. Elle sait qu’il sera difficile de faire face aux mastodontes de la fast fashion qui proposent des vêtements bien faits vus de l’extérieur - même si les matières et les finitions sont médiocres - et qui finalement déforment notre perception du produit et de la valeur. Le made in France lui permet de maitriser les couts. Cela lui permet aussi de faire de belles rencontres : ses plissés viennent du célèbre atelier de Gérard Lognon.
Le made in France,
Inutile de demander à Alice Lemoine son opinion sur la matière tant son travail semble être un cri d’amour à la maille. Cette tricoteuse passionnée crée ses vêtements dans son atelier rue Durantin même si elle compte bientôt déménager pour un quartier plus central. On remarque d’emblée qu’elle porte ce qu’elle crée : la meilleure publicité qui soit. Après un passage par Esmod Tokyo (elle sortira major de la Spécialité Maille de l’école) elle reçoit le soutien de Michèle Lamy qui l’avait déjà engagé en parallèle de ses études pour travailler sur le développement de Gareth Pugh. Elle travaille ensuite pour Rick Owens, en charge d’une ligne de tricot à la main pour sa célèbre ligne Palais Royal puis fonde sa propre marque Lemoine Tricote en 2010 avant d’intégrer en 2012 le calendrier officiel de la Fédération Française de la Couture. Alice compose instinctivement à la manière des surréalistes, façon écriture automatique, en laissant parler l’inconscient : une vraie philosophie ressort de ses créations, en donnant une âme à la matière.
On croise Sarah,
Plusieurs grands noms de la couture parisienne se partagent le premier étage de l’atelier Richelieu. Le regard est forcément happé par les créations stupéfiantes de Yiqing Yin qui est ravie de participer pour la deuxième fois au showroom. Ici, celle qui a conquis Paris en très peu de temps – grand prix de la Création de la Ville de Paris en 2010, lauréate du prix des premières collections de l’ANDAM en 2011, premier défilé la même année pendant la semaine de la Haute Couture – retrouve ses clients existants et noue de nouveaux contacts. Le fait d’être la plus jeune couturière de la prestigieuse exposition Paris Haute Couture qui se déroule actuellement à l’hôtel de ville de Paris, ne lui monte pas à la tête. Ce talent pur, formé à l'Ecole Nationale Supérieure des Arts Décoratifs et à l’école de la Chambre Syndicale de la Couture, sait que la concrétisation de sa signature passe avant tout par la cliente, ultime épreuve du réel. Elle peut être tranquille : sa marque est distribuée dans de nombreux points de vente prestigieux de par le monde.
Plus loin,
Dernière pièce, Etienne Deroeux propose le luxe discret d’un vestiaire dont les matériaux sont nobles et purs tandis que les coupes, d’une apparente simplicité, cachent la grande technicité des patronages et des volumes. L’homme est exigeant et cela se ressent. Les tissus sélectionnés sont toujours précieux de par leur texture, et sélectionnés avec le plus grand soin. Pas d’esbroufe, on parle ici d’élégance brute, de sensualité d’un tombé. La quintessence même du luxe véritable : rareté - chaque pièce est éditée en cent exemplaires numérotés -, l’attention portée à la fabrication - les collections sont réalisées en France, à Nœux-les-Mines -, une certaine notion de la pudeur et de la discrétion qui n’interdit pas le plaisir et surtout, la liberté. Ces vêtements peuvent être portés de façon habillée ou décontractée, et surtout ils doivent suivre le corps, s’adapter, sans contraindre.
Au final, personne ici ne parle de tendances, et encore moins de vitesse. Comme si l’hystérie du renouvellement continuel instauré par la planète mode actuelle restait bloquée aux portes du showroom. Comme si on s’intéressait un peu moins à la mode pour se concentrer un peu plus sur le vêtement. En vertu d’un principe un peu oublié mais qui retrouve ici de la vigueur : un beau vêtement restera beau pour toujours et nous accompagnera toute la vie. C’est peut être ça la vraie définition de la mode durable.
(Hervé Dewintre)
Photos: H.D