La mode en appartement

By FashionUnited

4 mars 2013

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Fashion

Deux tenues précieuses signées Aganovich sont bordées de carton sur lequel se détachent en grosses lettres rouge le mot Fragile. Tout un symbole. Nous sommes au cœur de l’atelier Richelieu où se tient jusqu’au 7 mars la deuxième édition

de Designers Apartment, un dispositif initié par la fédération française de la couture et du prêt à porter avec l’appui du comité de développement et de promotion de l'habillement (DEFI). Une superbe opération conçue pour favoriser les contacts entre des créateurs émergents basés à Paris, la presse professionnelle et les acheteurs.

Douze designers,
douze élus animés par la passion du vêtement et de la qualité. Tous ici proposent du made in France. Ce n'est pas un hasard mais ce n’est pas non plus de l’arrogance et encore moins de l’ethnocentrisme (d’ailleurs la plupart de ces créateurs viennent du monde entier, du Chili, de Chine, de Belgique). Simplement, une autre façon de voir la mode avec des créateurs qui nous disent: revenons à la valeur artisanale de notre métier. Une bonne occasion de rappeler que l'essence même de Paris, son attrait, sa vocation peut-être, c'est le style, l'esprit mais aussi le savoir-faire d’ateliers riches d’histoire, de culture et d’intelligence de la main. Cela donne des vêtements avec une âme, un « je ne sais quoi » qui ne s’apprend pas dans les écoles de marketing.

A l’entrée, Celine Meteil et Lea Peckre, deux jeunes créatrices, la première bretonne, la deuxième parisienne, ont en commun d’avoir remporté en 2011 les prix plus prestigieux du festival international de mode et de photographie à Hyères. Dans son atelier d’Asnières, Celine Meteil, la petite trentaine, prend le temps de travailler les matières qu’elle a toujours aimé comme le jaconnat et le canevas, qu’elle modernise avec grâce. Sa voisine Lea Peckre semble animer par le même souci du détail et du développement des matières. L’architecte et la nature se confrontent dans ses silhouettes qui ont retenu récemment l’attention de Maria Luisa. Les deux jeunes femmes savent que la route sera longue mais elles se sentent prêtes : elles frappent par leur tranquille détermination.

Changement d’ambiance chez Brooke Taylor qui forme avec Nana Aganovich le duo créatif à la tête du label Aganovich. Ils ont toujours voulu présenter leurs collections à Paris, même lorsqu’ils étaient basés à Londres ( un conseil de Lady Amanda Arlech). Depuis la création de leur société française en avril 2011, ils produisent désormais en France et ont déménagé définitivement leur studio à Paris. Toute l’équipe est affairée avec des acheteurs. D’autres arrivent encore. Brooke a le temps de nous confier ses impressions sur cette opération, c’est la deuxième fois qu’il y participe : « c’est formidable, nous avons rencontré ici tous nos acheteurs, qui sont charmés par la sérénité du cadre, et nous en avons rencontré beaucoup d’autres. Par rapport aux saisons où nous présentions notre collection dans une suite d’hôtel, nous avons triplé notre chiffre d’affaire. »

Chaque
robe d’Octavio Pizarro, qui participe pour la première fois à la manifestation, rappelle son héritage, son terroir et ses rêves. Créateur chilien, né à Santiago, naturalisé français depuis peu, son style est solidement enraciné dans ses deux amours : son pays et Paris. En 2005, après avoir connu pendant dix ans toutes les facettes de la mode parisienne , il découvre le travail de l’alpaga. Sa collection d’accessoires propose écharpes, étoles, capes et ponchos conçus dans les plus fines laines fabriquées sur les hauts-plateaux andins. Son prêt à porter est luxueux et personnel : les matières qui composent et les techniques qui assemblent ses robes sont non seulement inattendues (nœuds façon macramé, crochet main virtuose, cristaux de Swarovski incrustés dans l’alpaga) mais surtout elles incarnent vraiment le créateur : des mains inspirées qui travaillent les laines pour former des pelisses architecturées, des robes asymétriques en guipures, des franges de viscose, et des plumes qui s’animent en spirales.

Franco-cambodgienne, née en 1979, Christine Phung aime avant tout trouver les belles histoires qui aideront ses vêtements à durer et à traverser les saisons tout en s’adaptant aux usages de leurs propriétaires. Les prix des concours (Grand Prix de la Création de la Ville de Paris en 2011, participation au prix Mango Awards en 2012) et les missions free lance lui permettent de financer ses collections. Elle sait qu’il sera difficile de faire face aux mastodontes de la fast fashion qui proposent des vêtements bien faits vus de l’extérieur - même si les matières et les finitions sont médiocres - et qui finalement déforment notre perception du produit et de la valeur. Le made in France lui permet de maitriser les couts. Cela lui permet aussi de faire de belles rencontres : ses plissés viennent du célèbre atelier de Gérard Lognon.

Le made in France,
c’est aussi la contrainte que les deux créateurs de Mal-aimée se sont imposés pour être en accord avec leurs désirs. Léonie Hostettler et Marius Borgeaud qui se sont croisés tout d’abord à la Haute École d'Art et de Design de Genève puis auprès d’Olivier Theyskens chez Nina Ricci partagent la même obsession de la matière « la base absolue, l’essence même de nos idées ». Le body semble être un autre point de fixation, une pièce centrale sur laquelle viennent se greffer toutes les pièces ensemble. L’exigence est le point fort de ce duo qui préféré être patient et proposer quelque chose d’irréprochable.

Inutile de demander à Alice Lemoine son opinion sur la matière tant son travail semble être un cri d’amour à la maille. Cette tricoteuse passionnée crée ses vêtements dans son atelier rue Durantin même si elle compte bientôt déménager pour un quartier plus central. On remarque d’emblée qu’elle porte ce qu’elle crée : la meilleure publicité qui soit. Après un passage par Esmod Tokyo (elle sortira major de la Spécialité Maille de l’école) elle reçoit le soutien de Michèle Lamy qui l’avait déjà engagé en parallèle de ses études pour travailler sur le développement de Gareth Pugh. Elle travaille ensuite pour Rick Owens, en charge d’une ligne de tricot à la main pour sa célèbre ligne Palais Royal puis fonde sa propre marque Lemoine Tricote en 2010 avant d’intégrer en 2012 le calendrier officiel de la Fédération Française de la Couture. Alice compose instinctivement à la manière des surréalistes, façon écriture automatique, en laissant parler l’inconscient : une vraie philosophie ressort de ses créations, en donnant une âme à la matière.

On croise Sarah,
grand manitou de la hype parisienne, acheteuse et fille de Colette. Un bon présage. Peut être vient-elle de rendre visite à Each x other, né de la rencontre entre Ilan Delouis, designer de mode, et Jenny Mannerhein, directrice artistique. Le label propose un vestiaire unisexe mais se distingue surtout par ses collaborations : artistes, designers et artisans sont invités à intervenir sur ces collections où les matières naturelles prédominent et où les codes couleurs jouent la carte de l’intemporel. On parle ici de « luxe brut » : luxe dans la fabrication, brut dans le style, le soin des finitions en plus. Presque une maison d’édition en quelque sorte. Chaque pièce est produite en édition limitée, de façon artisanale pour certaines, avec un traitement particulièrement haut de gamme. La marque est déjà distribuée dans de très nombreux points de vente.

Plusieurs grands noms de la couture parisienne se partagent le premier étage de l’atelier Richelieu. Le regard est forcément happé par les créations stupéfiantes de Yiqing Yin qui est ravie de participer pour la deuxième fois au showroom. Ici, celle qui a conquis Paris en très peu de temps – grand prix de la Création de la Ville de Paris en 2010, lauréate du prix des premières collections de l’ANDAM en 2011, premier défilé la même année pendant la semaine de la Haute Couture – retrouve ses clients existants et noue de nouveaux contacts. Le fait d’être la plus jeune couturière de la prestigieuse exposition Paris Haute Couture qui se déroule actuellement à l’hôtel de ville de Paris, ne lui monte pas à la tête. Ce talent pur, formé à l'Ecole Nationale Supérieure des Arts Décoratifs et à l’école de la Chambre Syndicale de la Couture, sait que la concrétisation de sa signature passe avant tout par la cliente, ultime épreuve du réel. Elle peut être tranquille : sa marque est distribuée dans de nombreux points de vente prestigieux de par le monde.

Plus loin,
l’équipe de Christophe Josse ne cache pas sa joie de bénéficier d’un tel confort de présentation. La précieuse collection de prêt à porter de celui qui a intégré le cercle très fermé de la Haute Couture en janvier 2011 déploie sa grammaire composée de romantisme urbain et de minimalisme non déclaratif dans le calme nécessaire à l’achat de ce type de produits haut de gamme. Même constat chez Béatrice Demulder Ferrant : « nous vendons des vêtements de prix, qui ont une âme, une histoire, une façon, qui nécessitent du temps et du calme pour être appréciés et compris. Je n’aurai jamais pu faire apprécier les subtilités inhérentes au luxe intelligent dans le brouhaha d’un salon où le regard et les sens de l’acheteur sont sur sollicités. Ici, c’est vraiment luxe, calme et volupté, la bonne entente entre les créateurs en plus »

Dernière pièce, Etienne Deroeux propose le luxe discret d’un vestiaire dont les matériaux sont nobles et purs tandis que les coupes, d’une apparente simplicité, cachent la grande technicité des patronages et des volumes. L’homme est exigeant et cela se ressent. Les tissus sélectionnés sont toujours précieux de par leur texture, et sélectionnés avec le plus grand soin. Pas d’esbroufe, on parle ici d’élégance brute, de sensualité d’un tombé. La quintessence même du luxe véritable : rareté - chaque pièce est éditée en cent exemplaires numérotés -, l’attention portée à la fabrication - les collections sont réalisées en France, à Nœux-les-Mines -, une certaine notion de la pudeur et de la discrétion qui n’interdit pas le plaisir et surtout, la liberté. Ces vêtements peuvent être portés de façon habillée ou décontractée, et surtout ils doivent suivre le corps, s’adapter, sans contraindre.

Au final, personne ici ne parle de tendances, et encore moins de vitesse. Comme si l’hystérie du renouvellement continuel instauré par la planète mode actuelle restait bloquée aux portes du showroom. Comme si on s’intéressait un peu moins à la mode pour se concentrer un peu plus sur le vêtement. En vertu d’un principe un peu oublié mais qui retrouve ici de la vigueur : un beau vêtement restera beau pour toujours et nous accompagnera toute la vie. C’est peut être ça la vraie définition de la mode durable.

(Hervé Dewintre)

Photos: H.D