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Le surcoût lié au made in France : l’étude qui fâche

By FashionUnited

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Depuis la publication d’une étude réalisée par les deux économistes Charlotte Emlinger et Lionel Fontagné pour le Cepii ( Centre d’études prospectives et d’informations internationales), les médias grand public relaient les deux

infos suivantes en boucle : tout d’abord, l'achat du made in France coûterait de 1 270 à 3 770 euros de plus par an et par ménage, soit de 100 à 300 euros de plus par mois et par ménage. Deuxième affirmation : acheter français ne permettrait pas de recréer des emplois dans l’Hexagone.

Ces
intitulés n’incitent pas vraiment à consommer français et semblent même contredire fortement le ministre du Redressement productif, Arnaud Montebourg qui avait estimé au début de l’année que la troisième révolution industrielle de la France passerait obligatoirement par le Made in France. « La France a fait la première révolution industrielle, la deuxième. Elle fera la troisième autour du Made in France », avait-t-il déclaré à l’occasion de l’inauguration du premier salon grand public dédié aux produits fabriqués à 100 pour cent dans l’Hexagone.

Que valent vraiment les assertions tirées par les médias de cette étude ? Le made in France est-il à ce point une fantaisie ruineuse qui ne vaille pas la peine de s’y attarder désormais tandis que d’autres sondages laissent à penser que les consommateurs sont prêts à payer plus chers (certes, pas beaucoup plus chers : 5 pour cent) pour du « mif ». Que penser alors des français favorables aux rayons « made in France » dans les supermarchés ? Rentrons un peu dans cette étude avant d’en tirer nos propres conclusions et de tirer à boulet rouge contre notre production nationale.


Le made in France coûterait jusqu'à 300 euros de plus par mois et par ménage

On pourrait croire, à première vue que le made in China s’est largement imposé dans nos actes d’achats. C’est la première erreur de perception soulevée par cette étude, et celle d’ailleurs qui nous semble la plus intéressante : le made in China, terme générique désignant « les biens en provenance des pays de délocalisation » ne représente qu’un quart de notre consommation de biens. En réalité, les produits de consommation importés par la France proviennent majoritairement de l'Union européenne (62 pour cent, en valeur, en 2011) et pour le reste, des autres pays de l'OCDE (Japon, États-Unis, …). Il faut cependant noter que la part de l'Union européenne a baissé de 7 pour cent sur une décennie, tandis que celle des pays de délocalisation progressait de 19 pour cent.

L’autre affirmation de cette étude a fortement attiré l’attention des médias : « ce seul quart permet au consommateur final de réaliser des gains de de pouvoir d'achat substantiels » un gain important : « l'économie potentiellement procurée à chaque ménage français est selon ce calcul de 1 270 à 3 770 euros pour 2010. ». Cette conclusion nous semble hâtive et d’ailleurs, avec honnêteté - mais sans en tirer les conséquences - les deux économistes dressent quelques exemples qui confirment que cette économie mérite d’être décryptée plus en détails. Prenons l’exemple d’une basket moins chère mais aussi moins solide face à une basket plus chère mais plus résistante. Peut-on parler dans le premier cas d’une réelle économie par rapport à la basket solide qui ne devra pas obligatoirement être changée plus rapidement ?

C’est-à-dire que l’étude porte sur le cas d’école suivant : il s’agit de remplacer à un instant T tous les objets made in china en notre possession par du made in France : il est certain que le coût final sera plus élevé. Ce n’est une surprise pour personne. Mais le comportement d’achat dans les mois suivants sera-t-il le même ? Remplace-t-on un sac de luxe français tous les deux mois comme on le ferait d’un sac premier prix ? Tous les articles ont-ils leur strict équivalent en termes de qualité ou par exemple, en terme de coût écologique. Même remarque tous les bénéfices permanents et non chiffrables de la qualité (solidité, finitions, allergies). Ces données supplémentaires mais aussi foisonnantes que la vie elle-même, sont certes aléatoires et difficilement prévisibles et l’étude les esquissent volontiers mais elle admet rapidement et honnêtement ses limites méthodologiques ce qui rend cette première donnée initiale titrée par les médias « Le made in France coûterait jusqu'à 300 euros de plus par mois et par ménage » grossière, imprécise, en théorie possible mais non mesurable dans la vie réelle sans tenir compte de la psychologie de l’acte d’achat. Notons la bonne foi des auteurs de l’étude qui stipulent bien qu’ils opèrent une simplification. Les médias qui ont repris le résumé de cette étude n’ont pas tous eu ce genre de scrupules.


Les articles en cuir particulièrement coûteux

S’appuyant sur des données de 2010, les deux économistes observent que le quart du surcoût serait concentré sur les seuls articles en cuir (comprenant essentiellement les sacs à mains puis les valises et mallettes). Le deuxième poste (représentant 10 pour cent du total) concerne le petit matériel électrique (électroménager par exemple). Dans le premier cas, le surcoût serait de 25 milliards d'euros, dans le second, de 18 milliards. Ces chiffres peuvent paraître considérables, mais doivent être rapportés au nombre de ménages français (27,5 millions). Les vêtements et sous-vêtements suivent, avec chacun plus que 5 pour cent du total. S’agissant des pays à bas prix, 71 pour cent du surcoût proviendrait du remplacement des seules importations en provenance de Chine. Suivraient ensuite les produits venant d’Inde (5 pour cent). En troisième position, se trouve le Bangladesh (3 pour cent). Le Vietnam, la Turquie, la Tunisie, la Thaïlande, la Roumanie et le Maroc suivent par ordre décroissant, représentant chacun plus d'un milliard par an (en termes de surcoût de remplacement). Un classement qui finalement ne suit pas celui des délocalisations qui ont lieu aujourd'hui le plus souvent à l'intérieur de l'Union européenne. Une étude de l’Insee publiée en juin : http://www.insee.fr/fr/themes/document.asp?ref_id=ip1451 estime ainsi qu'entre 2009 et 2011, 55 pour cent des sociétés françaises ayant délocalisé une activité l'ont fait au sein de l'Union. 24 pour cent des entreprises avaient choisi l'Afrique et 18 pour cent la Chine.

Là encore, il convient de souligner les limités méthodologiques de cette étude. Surtout en ce qui concerne les articles en cuir, les sacs notamment dont la consommation est si différente suivant les parts de marchés et qui n’ont pas toujours leur équivalence dans les pays à faible coûts.


Quid des créations d’emplois ?

La conclusion de l’étude parle des emplois en France et des effets de report de consommation. Cette conclusion a été, elle aussi, largement retransmise - et in extenso- par les médias sans soucis excessifs de la contredire. Pour Charlotte Emlinger et Lionel Fontagné, « la substitution de produits nationaux aux produits importés augmenterait la dépense sur les produits concernés, ce qui réduirait la consommation de services. Or il est tout à fait possible que le contenu en emplois des services, par euro de valeur ajoutée, soit plus important que celui des usines robotisées fabriquant les substituts aux biens importés dans les secteurs confrontés à la concurrence des pays à bas salaires. » Cette affirmation, qui n’est au fond qu’une hypothèse, a été transcrite dans les médias par « le made in France ne permettrait pas de créer d’emplois supplémentaires ». C’est un raccourci audacieux mais inexact car il repose sur des bases trop imprécises. Tout d’abord, c’est la aussi un cas d’école qui n’a pas d’applications concrètes dans la vie réelle. Tout faire fabriquer en France n’a pas de sens. La demande de made in s’exerce avant tout dans les produits qui ne réclament pas d’automatisations mais au contraire nécessitent l’expertise et l’intelligence de la main humaine. Que ce soit dans l’artisanat ou la confection, il est peu probable que la sauvegarde de ce savoir et de ses emplois nuisent aux emplois de service.

Il convient donc de ne pas avoir d'idées trop arrêtées sur cette question complexe et de ne pas se laisser emporter, même pendant la torpeur estivale à la douce joie de simplifications faciles. "La logique d'opposition entre produits importés et produits fabriqués en France ou entre industrie et service n'a pas de sens, estime avec honnêteté Lionel Fontagné. L'enjeu pour la France est d'être suffisamment attractive et de rendre ses entreprises plus compétitives et innovantes." En ce qui concerne les pays à bas coûts : « La pression des consommateurs, notamment au travers du travail des ONG, ou les pratiques responsables des distributeurs, doivent permettre d'améliorer sensiblement les conditions de travail, sans annuler les écarts de prix, pour mieux partager les gains de la mondialisation. C'est tout l'enjeu de la consommation responsable, qui ne se confond pas avec un Made in. »






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