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Portrait: Gil Tardieu, scénographe de mode

By FashionUnited

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La communication de mode, c’est aussi la scénographie utilisée dans les défilés, un enjeu de premier ordre dans la notoriété des marques. Outre l’image d’un vêtement ou de son couturier, le sensationnel fait vendre. Encore faut-il savoir manier les ficelles artistiques avec grâce pour

donner vie à un tableau que les spectateurs retiendront peut-être différemment… Rencontre avec Gil Tardieu à Casablanca, lors de la dernière édition de Fashiondays Maroc.

FashionUnited : En quoi consiste la scénographie de mode?

Gil Tardieu : La scénographie de mode consiste à créer un univers autour de la collection d un couturier et d’en accroitre ainsi l impact auprès des spectateurs, comme un écrin pour un bijou, une sorte d’amplificateur émotionnel.

FU : Parlez-nous de votre carrière. Comment en êtes-vous arrivé là ?

G.T : J’ai été danseur puis chorégraphe de danse, le hasard m’a amené à chorégraphier des défilés de mode –chose plus courante dans les années 90- l univers du vêtement sacralisé sur une scène à qui des mannequins donnent vie m’a énormément plu, il y a aussi le fait que ces défilés soient uniques et que le droit à l’erreur ne soit pas admis. J’aime ce challenge, cette adrénaline.

FU : Qui sont vos clients ?

G.T : Mes clients sont multiples et vont au gré des demandes ; j’ai beaucoup travaillé pour les couturiers dans les années 90, la mode était à la mode et les défilés drainaient beaucoup de rivalités. C’était à qui ferait le défilé le plus spectaculaire, le vêtement était presque devenu un prétexte pour créer un spectacle, il n’y avait pas de Fashion week organisée chacun faisait comme il voulait pour tenter d’éblouir la presse et les invités , beaucoup de ces couturiers ont disparu aujourd’hui ça coutait très cher et ne faisait pas forcément vendre mais c’était de l image . Aujourd’hui je travaille plus autour de concepts alliant la mode avec des univers plus commerciaux comme pour les cosmétiques par exemple, je crée aussi mes propres événements comme Caftan ou les Fashiondays au Maroc mais aussi dans d’autres pays.

FU : Avez-vous une équipe permanente de danseurs, techniciens, etc ?

G.T : Oui, j’ai une équipe de base avec laquelle j’aime me retrouver. Mon ami styliste Patrick Boffa, par exemple, avec qui je collabore depuis de nombreuses années. Nous avons les même codes et une grande confiance mutuelle ce qui fait qu’en quelques mots échangés au téléphone nous somme capables de recréer des univers très subtils et raffinés, la même chose avec quelqu’un que je ne connais pas me demanderait beaucoup plus de temps. On gagne du temps et de l énergie en travaillant avec des personnes qui ont la même vision des choses que vous. Mon métier consiste à diriger artistiquement tout en n’étouffant pas la créativité de mes collaborateurs, tout le monde doit pouvoir s’y retrouver et prendre du plaisir à accomplir sa part de créativité que ce soient les stylistes, les coiffeurs les maquilleurs, etc.… Mais il faut aussi pouvoir s’adapter et utiliser les forces vives qui vous entourent avec aussi des gens nouveaux. C’est un subtil mélange de tout ça…

FU : Est-il possible aujourd’hui de vivre de votre métier ou avez-vous des activités complémentaires ?

G.T : Je ne vis que de mon métier depuis plus de 20 ans dans des espaces et des contextes différents mais je ne fais que cela. J’ai la chance d’avoir une bonne réputation, d’avoir côtoyé beaucoup de gens importants dans ce métier. Ma façon d’être et d’aborder ce métier peut ne pas plaire à tout le monde et c’est normal mais je pense qu’on ne peut pas me reprocher de ne pas savoir le mener à bien et de ne pas mettre toutes mes forces pour y arriver.

FU : Votre meilleure (ou pire) expérience?

G.T : Commençons par « le pire » : au début de ma carrière je me suis retrouvé à régler de très grands défilés très médiatisés filmé pour la télévision. j’étais confiant dans ce que je faisais , avais réglé tous les détails de lumière de musique et de passage des mannequins sauf que les coulisses avaient été envahies par les journalistes des photographes et toute sortes de people , on ne s’y retrouvait plus , le champagne coulait à flot pendant le défilé et plus personne n «’était concentré j’appelais les mannequins pour leur passage mais elles répondaient a des questions de journalistes pendant le défilé , un vrai cauchemar ! En plus de cela, ma communication intercom avec la technique pour coordonner son et lumière est tombée en panne. Je ne contrôlais plus rien, je crois bien que j’en ai pleuré à la fin tellement j’étais dépassé par la situation, eh bien malgré tout ça le défilé a plu et a été retransmis en grande pompe alors que j’étais au 36ème sous-sol ! D’autres fois c’est le contraire, on a une idée qui n’est pas forcément accueillie avec enthousiasme, on s’y accroche quand même et puis le miracle se produit c’est un moment de grâce inouïs qui prend vie sous vos yeux. Je me sens transporté par l idée que sans moi cette communion extrême n’aurait jamais pu exister.

FU : On n’entend peu parler des scénographes en France…

G.T : Nous ne sommes pas réputés pour faire du buzz auprès du grand public. Je côtoie certes dans des événements internationaux certains de mes confrères en assistant volontiers à leur défilés mais c’est quand même un peu chacun pour soi, les univers, la façon de travailler et le passé artistique ou pas dont on est issu font qu’on se mélange peu, on est plus en concurrence qu’en amitié la plupart du temps.

FU : Peut-on connaître la rémunération moyenne pour un défilé ?

G.T : C’est très variable en fonction de l’événement, du temps passé, s’il y a du travail en plus de la scénographie comme des vidéos des images, etc … je dirais qu’il y a ceux qui vous portent et ceux qui vous rapportent. Quand j’ai affaire à de grandes marques comme l’Oréal je ne demande pas le même tarif que pour un jeune créateur de talent qui débute, disons que ma fourchette de tarif varie entre 2 000 et 20 000 euros, sachant que le temps de préparation que aller d’un à six mois.

FU : Avec les derniers défilés « extraordinaires » comme Karl Lagerfeld pour Chanel mis en scène dans un supermarché, que recherche le spectateur aujourd’hui ? Préconiseriez-vous une ambiance spéciale pour ne pas le « lasser »?

G.T : Aujourd’hui on cherche à faire parler de soi à tout prix et parfois au détriment du bon goût, c’est pas mon truc le « décalé ». Pour innover, j’aime mieux faire appel à des techniques nouvelles d’image et de projection comme le « mapping » par exemple, la technologie est pour moi une grande source de renouvellement, je préfère utiliser ça pour surprendre .

FU : Où puisez-vous votre inspiration pour chaque projet?

G.T : Parfois il suffit d’un mot, d’une image, ou d’un vêtement pour que tout un univers se mette en place dans ma tête. Honnêtement, je ne suis jamais en panne d’inspiration, il m’est arrivé de participer à des réunions dans des bureaux très sérieux pour prendre connaissance d’un projet et de développer au cours même de cette séance de prise de connaissance tout le concept du défilé de A à Z et de convaincre ainsi mes clients. Je suis même capable en pleine réunion de monter sur une table pour montrer tel ou tel mouvement ! Je n’ai peur de rien car s’il y a une chose en laquelle j’ai confiance c’est dans ma grande imagination.

FU : Un défilé doit-il être nécessairement beau ? Quels sont vos critères d’esthétique ?

G.T : Mon critère principal c’est l’émotion. Ça me vient probablement de mon passé artistique sur scène mais la personne que j’essaie de toucher n’est pas celle assise au premier rang c’est plutôt la personne debout tout au fond de la salle que je cherche à atteindre et à transporter. Le beau est un excellent véhicule d’émotion mais parfois il faut savoir jouer avec la mémoire collective, les souvenirs d’enfance, les sons et les images toutes simples pour atteindre le cœur des gens …

FU : Pour les années à venir, quels sont vos pronostics concernant votre profession?

G.T : Ce métier est un métier de passion qui peut vous dévorer tout entier, tant qu’il y aura des gens qui rêveront un peu en assistant a un défilé de mode, des gens comme moi existeront, il ne faut pas oublier non plus que de grands enjeux commerciaux sont là derrière. Toutes sortes de tendances existent pour présenter des vêtements allant du minimalisme désincarné aux spectacles proches du « Cirque du Soleil ». Ça laisse de la marge à toutes les jeunes générations pour s’exprimer et c’est tant mieux.

FU : Que conseilleriez-vous aux jeunes qui rêvent d’exercer votre métier ?

G.T : Je leur dirais de se cultiver, d’être curieux, ne pas chercher à se mettre en avant mais utiliser le potentiel et le savoir faire qui vous entoure pour concrétiser les idées que vous avez au fond de vous-même. Savoir ce que c’est que d’être sur scène, avoir un passé artistique à mon avis est primordial. Je ne crois pas aux gens qui font ce métier de façon uniquement technologique, c’est trop « froid » pour moi. Ce sont des métiers uniques où chacun lui donne sa couleur.Il faut savoir s’adapter a toutes sortes de lieux, être parfaitement bilingue et savoir gagner la confiance de ses clients. Il faut donc avoir confiance en soi et avoir un imaginaire très développé.

FU : Vous travaillez au Maroc depuis des années. Avez-vous plus de liberté de création dans un pays comme celui-là plutôt qu’en France ?

G.T : Je ne dirais pas cela mais c’est vrai qu’ au Maroc les gens sont habitués à ce que les choses soient faites assez à la dernière minute , tout reste donc possible presque jusqu’à la fin ce qui n’est pas le cas en Allemagne, par exemple, où je travaille beaucoup aussi et où tout doit être bouclé dans les moindres détails quinze jours ou 3 semaines avant l’événement. Maintenant en ce qui concerne la création je ressens beaucoup de demande au Maroc et c’est vrai que c’est stimulant, il y a encore beaucoup de grandes choses que je pense pouvoir y présenter.

(Anne-Sophie Castro)

 

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