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Rencontre avec Christine Bard

By FashionUnited

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Après les retours successifs de la robe en 2009, puis la jupe cette année, nous avons décidé d'effectuer un arrêt sur image sur le pantalon. Historienne et auteur d'Une Histoire politique du pantalon (éditions du Seuil), Christine Bard a examiné le

vêtement unisexe sous toutes les coutures. De la culotte au bloomer en passant par les braies gauloises pour enfin arriver au pantalon classique. La preuve...

FashionUnited: Ce dernier livre que vous consacrez à l'histoire du pantalon est-il une riposte à votre livre précédent Ce que soulève la jupe (éditions Autrement, sorti en août dernier) ?
Christine Bard : Ils se répondent dialectiquement. On ne peut penser le vêtement fermé et masculin sans le relier au vêtement ouvert et féminin. C’est d’abord le phénomène de la virilisation des femmes et son sens politique qui m’a intéressée. La peur de l’indifférenciation des sexes alimente l’antiféminisme : c’est en son nom que l’on refuse aux femmes des droits égaux à ceux des hommes. J’ai donc d’abord travaillé sur Madeleine Pelletier, une théoricienne féministe du début du XXe siècle qui rêvait d’abolir le genre féminin. Puis j’ai publié un livre, Modes et fantasmes des années folles qui montre ce que cache la mode de la garçonne. Puis ce livre sur le pantalon. Difficilement conquis en France, il se généralise dans les années 1960. Mais aujourd’hui, c’est la jupe, toujours associée à la féminité, à une sorte d’hyperféminité même, qui semble poser des problèmes. Pour les jeunes filles notamment, mais aussi pour les hommes qui la portent. D’où mon envie d’écrire un petit essai sur cette jupe-problème. La jupe devient un symbole de la résistance au sexisme comme la montré le 25 novembre dernier le mot d’ordre de Ni Putes Ni Soumises de porter une jupe pour dénoncer les violences faites aux femmes.

FU : Etes-vo
us plus pantalon ou jupe ?
CB: Je porte plus souvent le pantalon que la jupe ou la robe (que je préfère à la jupe d’ailleurs) et mes goûts sont très éclectiques. Cette flexibilité, cette indétermination personnelle m’ont sans doute aidée à ouvrir le sujet, à envisager les points de vue multiples et contradictoires portés sur les codes vestimentaires. Ce qui m’intéresse le plus est ce qui fait controverse et transgression. C’est aussi les croyances liées au vêtement : le vêtement que l’on va trouver « moderne » ou « libérateur ». Ces recherches s’appuient sur une documentation vaste et je les ai menées en tant qu’historienne, universitaire, mais avec le plaisir d’y mêler discrètement des touches personnelles, ou d’utiliser des intuitions liées à mes propres souvenirs vestimentaires. Je m’engage à ma manière à travers ces livres en faveur de la liberté vestimentaire, qui n’est pas complètement assurée en ce début du XXIe siècle, et contre donc toutes les contraintes liées au genre : elles révèlent la hiérarchie qui existe toujours entre les sexes. Le combat pour le droits des hommes à la parure ne me paraît donc pas du tout anecdotique.

FU : On apprend dans votre livre qu'il y a un règlement interdisant toujours les femmes à porter le pantalon. Pourriez-vous nous en dire plus sur cette loi du 16 Brumaire an IX de la République ?
CB : Il s’agit d’une ordonnance de la préfecture de police de Paris datant du 7 novembre 1800. Elle n’a jamais été abrogée malgré des demandes formulées en 1887, puis en 1969, 2004 et 2010. Il est vrai qu’elle est tombée en désuétude. Elle n’interdit pas le pantalon mais – ce qui revient pendant longtemps au même – elle interdit aux femmes de s’habiller en homme. On ne peut plus aujourd’hui définir ce que cela signifie, les vêtements masculins étant devenus mixtes. On ne peut en dire autant des vêtements féminins et c’est cela qui devrait nous interpeller. En tout cas, pour le symbole qu’elle représente, l’ordonnance de 1800 mérite d’être enfin abrogée.

FU : L'adoption du pantalon par les femmes, s'est-elle faite plus tôt dans les pays anglo-saxons qu'en France ?
CB : L’Angleterre et les Etats-Unis ont précédé la France où une vision plus conservatrice dominait. Au XIXe siècle, les pays anglo-saxons s’opposent aux modes parisiennes « immorales ». Le pantalon féminin peut ainsi servir la cause puritaine. Par ailleurs, le féminisme y est plus fort et plus précoce. C’est en 1850 que le premier pantalon « féministe » est inventé, par Amelia Bloomer, et porté par les pionnières du mouvement des femmes américains. En raison de l’importance culturelle et économique de la mode féminine en France, on peut penser que les contraintes pesant sur les Françaises sont plus grandes. Leur élégance appartient à un véritable « mythe national ». Les hôtesses d’Air France, ambassadrices de cette image idéalisée, n’ont gagné le droit de porter le pantalon qu’en… 2005 ! La décontraction (casual wear) est aussi pour les Françaises une importation américaine, de même que le jean qui a révolutionné le look.

FU : En temps de crise, on a souvent constaté que l'ourlet se raccourcit; Trouvez-vous que cette théorie de l'ourlet s'applique aussi au pantalon ?
CB : Elle est peut-être séduisante, mais fausse… On peut en revanche remarquer que face à des difficultés économiques, le capital physique prend de l’importance et que le vêtement court est supposé mieux mettre en valeur le corps. Crise ou pas, ce n’est pas la question du prix du tissu qui joue…

FU : Sans indiscrétion, portez-vous le pantalon, au sens propre comme au sens figuré ? Cette expression, qu'est-ce qu'elle évoque pour vous?
CB : C’est une expression bien désuète pour ma génération (je suis née en 1965), mais qui avait un sens très fort pour celle de ma mère (née en 1935). Je n’ai jamais vu ma mère en pantalon… Pour le reste, les stratégies de pouvoir vestimentaire sont très amusantes à décoder. Il est quand même incroyable de voir à quel point les interactions dans la vie quotidienne, au travail, sont informées par les manières de s’habiller. Notre look dit énormément de nous, que nous le voulions ou non. Je voudrais d’ailleurs nuancer l’idée que les femmes ont gagné une totale liberté. Cette liberté a un prix, elle ne va pas sans risques d’erreurs, de fautes, auxquels les hommes sont moins exposés car ils ont encore pour la plupart d’entre eux leur « uniforme », qui les libère chaque matin des angoissantes questions que se posent beaucoup de femmes… La stratégie « féminine » reste risquée : la preuve par le pantalon d’Angela Merkel et la jupe de Ségolène Royal…


Photos : Christine Bard et trois modèles de la collection capsule de 5 pantalons de la maison Céline. Nous saluons cet exercice de style signé Phoebe Philo, très tendance et qui tient chaud.

CELINE
Christine Bard