« Aujourd’hui, le business se fait sur Meta, il tient le marché, c’est la folie », Isabelle Prat, La Môme Bijou
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Isabelle Prat a 40 ans de métier dans la bijouterie. Sa marque « La Môme Bijou », créée en 2006, en a 17. Référencée par feu concept store Colette, elle a su se faire une place dans l’univers des bijoux créateurs. Mais, changement d’époque oblige, aujourd’hui on ne l’interroge plus sur sa créativité, mais sur la façon dont elle gère le business d’une entreprise indépendante. Cela lui convient. Interview.
Qu’est-ce qui fait que La Môme Bijou perdure, de manière indépendante, dans le marché du bijou Fantaisie ?
Isabelle Prat : Déjà, avec les années, c’est devenu une passion et je ne me vois pas faire autre chose. Je suis à l’écoute du marché et j’observe ce qui se passe. Aujourd’hui, les bijoux se vendent de manière différente. Entre 2006 et 2017/2018, nous faisions quatre salons professionnels par an. Nous vendions uniquement aux boutiques en btob, avec une gamme de prix différente selon que nous exposions à Who’s Next ou à Premiere Classe.
Colette faisait des petites commandes, mais nous offrait une visibilité qui déclenchait de gros volumes de ventes au Japon, aux États-Unis ou au Moyen-Orient. Les acheteurs internationaux passaient par ce concept store avant de se rendre sur Premiere Classe.
Quid du marché français ?
En 2017-2018, les revendeurs français représentaient seulement 15 % de mon chiffre d’affaires. Le reste se faisait à l’étranger. Au lieu de payer de la TVA, j’en recevais, car je fabrique ici, dans mon atelier parisien. Mon explication est que je créais des bijoux à un certain prix. Or, les boutiques françaises, concept stores et multimarques, c’est zéro risque, mouton land (la politique du mouton qui suit les autres) et zéro création. Quand Colette a fermé, ça a été le début de l’écroulement du commerce btob. Aujourd’hui, les acheteurs asiatiques se déplacent beaucoup moins et achètent en visio.
À quel moment vous êtes-vous tournée vers la vente en ligne btoc ?
J’ai créé mon premier site en 2013. J’avais l’outil, mais je ne communiquais pas. Au moment de la crise Covid, j’ai commencé à organiser mon marketing et ma communication sur les réseaux sociaux, notamment Instagram. Un euro investi dans le btoc rapporte plus qu’un euro dans le btob, car ce n’est pas la même marge bénéficiaire.
Pour vendre sur les deux terrains, il faut que le prix de gros soit compatible avec la marge du revendeur et néanmoins réaliste. Le btoc me permet de baisser les prix finaux. Par exemple : à l’époque, je vendais des bracelets à messages à 80 euros, prix publics. Aujourd’hui, ils sont commercialisés à 45 euros. Ce genre de bijoux sur cordon n’est pas compétitif quand il est fabriqué en France.
L’adaptation à l’évolution du marché passe par une réduction du prix de vente et une augmentation de la marge bénéficiaire pour le fabricant. C’est ainsi qu’on arrive à en vivre. Nous avons augmenté notre chiffre d’affaires et le panier moyen de nos ventes en ligne grâce à certaines pièces que nous pouvons désormais vendre plus cher (puisqu'il n'y a plus la marge commerçant, ndlr).
Cela signifie-t-il un arrêt des ventes btob ?
Non. Nous ouvrons un pop-up au Bon Marché entre mi-avril et mi-août 2025. Et puis, il y a un phénomène mondial qui fait que chaque pays se recentre sur lui-même. De fait, les boutiques françaises se tournent plus vers nous.
En quoi les ventes en direct ont-elles changé votre façon de travailler ?
Nous fabriquons à la commande. Il y a plus de paquets à faire. Nos clientes proviennent majoritairement de France, Belgique et Suisse, ce qui correspond à nos investissements publicitaires sur Meta, soit entre 50 et deux cents euros par jour. Cibler les acheteurs des autres pays nous coûterait plus cher. Le retour, en termes de taux de marge, est trois fois plus intéressant que d’investir sur un stand dans un salon professionnel.
Un salon par an est largement suffisant. Je préfère placer l’argent économisé dans des publicités sur Internet : référencement Google, Instagram, Facebook, achats d’espaces et contenus sponsorisés. Nous avons une agence qui gère nos publicités, nous conseille sur les visuels. Pour vendre en ligne, il faut payer. Le maître du monde, c’est Méta.
Le business se fait sur Meta, c’est lui qui tient le marché, c’est la folie. Notre compte Instagram a été piraté en 2021. J'étais passée à 10 000 followers et me suis rendue compte que je venais de perdre dix ans de travail. Redémarrer un compte n’est pas chose facile, car les gens sont sensibles au nombre de followers. Ils vont moins acheter si une marque a 500 followers que si elle en a 10 000. Heureusement, on l’a récupéré. Aujourd’hui, quand je reçois un message provenant de Facebook ou Instagram, je le jette directement à la poubelle.
La longévité d’une marque (et donc l’âge de sa créatrice) est-elle un sujet dans un contexte où les réseaux sociaux prédominent le marché ?
Pour caricaturer : si tu as plus de quarante ans, si tu n’habites pas à Saint-Germain-des-Prés et si tu n’as pas d’enfants en bas âge, tu n’existes plus. Aujourd’hui, on remarque et récompense une jeune créatrice qui développe un concept, pas forcément celles qui savent fabriquer des bijoux.
- La Môme Bijou, marque de bijoux créée en 2006, a su s'adapter au marché en passant d'une stratégie BtoB à une approche BtoC, axée sur les ventes en ligne et les réseaux sociaux.
- Cette transition a généré une réduction des prix de vente et une optimisation de la marge bénéficiaire, tout en maintenant une présence ciblée sur des plateformes comme Instagram et Meta.
- Malgré les défis posés par l'évolution du marché et la prédominance des réseaux sociaux, la marque continue de prospérer grâce à une adaptation constante et une stratégie marketing efficace.