Directive omnibus : qu'est-ce qui change, qui s'y oppose et quelles conséquences pour la mode ?

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EU flag Credits: Studio Idea via Pexels

La Commission européenne avance sur le sujet du reporting de durabilité des entreprises (CSRD) et celui de la directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité (CSDDD) dans le cadre de son « paquet de simplification omnibus ». Une fuite d'un projet de texte a suscité un vif débat, révélant des changements majeurs dans les seuils de reporting, les calendriers de conformité et les obligations de diligence raisonnable. Si certains considèrent ces modifications comme des simplifications nécessaires, d'autres estiment qu'ils affaiblissent la responsabilité des entreprises.

Alors, qu'est-ce qui (pourrait) change(r) ? Qui s'y oppose et pourquoi ? Et quelles sont les implications potentielles pour l'industrie de la mode ?

Les changements (potentiels) majeurs

1. Augmentation des seuils de reporting

L'un des ajustements les plus critiques concerne l'augmentation des seuils de conformité. Selon le projet de texte divulgué, le chiffre d'affaires net requis pour les entreprises soumises à l'obligation de reporting passerait de 150 millions d'euros à 450 millions d'euros et 1 000 employés, excluant ainsi un grand nombre d'entreprises américaines et non européennes du champ d'application de la CSRD. Toutefois, pour les grandes entreprises mondiales de la mode, qui dépassent largement ces seuils, la directive reste hautement pertinente.

2. Ajustements du reporting sur la chaîne de valeur

Un autre amendement clé concerne le reporting sur la chaîne de valeur, sujet controversé pour les marques de mode en raison de la complexité de leurs chaînes d'approvisionnement mondiales. Le projet de texte propose de réduire la charge de conformité en limitant l'obligation d'obtenir des données d'entreprises non directement soumises à la CSRD. Cela pourrait faciliter la conformité pour les marques travaillant avec de petits fournisseurs.

Cependant, l'expert en stratégie de durabilité Peter Suasso de Lima de Prado critique certaines restrictions des amendements. Il estime que l'exemption des entreprises de moins de 500 employés de la cartographie des risques pourrait être contre-productive. « La taille ne détermine pas le risque—vous devez décider où concentrer vos efforts », souligne-t-il, plaidant pour une plus grande discrétion des entreprises dans la surveillance de leur chaîne d'approvisionnement.

3. Changement dans les exigences de diligence raisonnable

Les amendements de la CSDDD visent à affiner les obligations de diligence raisonnable, notamment en ce qui concerne l'évaluation des risques. Les changements proposés limitent l'obligation des entreprises à évaluer uniquement les impacts négatifs avérés ou potentiels de leurs partenaires commerciaux directs (fournisseurs de premier niveau). Une évaluation plus approfondie des partenaires indirects ne serait requise que si des risques plausibles sont identifiés.

4. Mise en attente des normes sectorielles

Un autre changement majeur est l'extension de la période de surveillance, passant d'un examen annuel à un examen tous les cinq ans. Bien que cela puisse sembler être un soulagement pour les entreprises, Suasso de Lima de Prado avertit que cela pourrait être mal adapté à la dynamique des chaînes d'approvisionnement.

Le projet de texte propose également de reporter indéfiniment les normes de reporting spécifiques à certains secteurs, y compris la mode, l'un des secteurs les plus polluants. Ce retard pourrait freiner les efforts visant à établir des lignes directrices claires sur des problématiques telles que les déchets textiles et les émissions de carbone.

5. Pas de refonte majeure sur la matérialité et l'assurance

Malgré les rumeurs selon lesquelles la Commission européenne pourrait abandonner la « double matérialité », qui oblige les entreprises à rendre compte de leurs impacts financiers ainsi que de leurs impacts environnementaux et sociaux, le projet de texte ne la supprime pas. Concernant l'assurance, le projet maintient l'exigence d'une assurance limitée des rapports de durabilité, mais supprime l'obligation d'un niveau d'assurance raisonnable d'ici 2028.

6. Débat sur la responsabilité civile et les coûts de conformité

Le projet d'amendements propose de supprimer l'obligation de sanctions liées à 5 % du chiffre d'affaires mondial et d'éliminer le droit privé d'action permettant à des tiers de poursuivre les entreprises en cas de non-conformité.

Qui s'oppose aux changements et pourquoi ?

Défenseurs de l'environnement et des droits humains

De nombreux experts en durabilité et ONG affirment que ces amendements affaiblissent la responsabilité des entreprises, notamment en réduisant le nombre d'entreprises concernées par le reporting.

États membres de l'UE aux politiques de durabilité fortes

Des pays comme la France, l'Allemagne et le Danemark plaident pour des normes élevées. Ils craignent que la réduction des obligations de reporting ne freine les objectifs climatiques et sociaux de l'UE.

Entreprises de mode et parties prenantes du secteur

Les réactions sont partagées. Les grandes marques craignent que ces changements ne facilitent le greenwashing, tandis que les entreprises de taille moyenne accueillent favorablement la réduction des coûts de conformité.

Impact sur les efforts de durabilité dans la mode

L'industrie de la mode est l'un des secteurs les plus impactants sur l'environnement, responsable d'émissions de carbone importantes, d'une consommation d'eau excessive et de préoccupations liées aux droits des travailleurs. La CSRD et la CSDDD ont été conçues pour améliorer la transparence et la responsabilité des entreprises face à ces enjeux. Cependant, les amendements proposés pourraient modifier la trajectoire des efforts de durabilité de plusieurs manières :

Moins de transparence dans les chaînes d'approvisionnement

Avec la réduction des obligations de reporting pour les partenaires de la chaîne de valeur, les entreprises pourraient être moins soumises à un contrôle strict sur les pratiques environnementales et sociales de leurs fournisseurs. Cela pourrait ralentir les efforts visant à améliorer les conditions de production textile dans des pays comme le Bangladesh, le Vietnam et l'Inde.

Passage d'une réglementation à des engagements volontaires

Si les normes sectorielles spécifiques sont abandonnées, les marques de mode pourraient s’appuyer davantage sur des initiatives volontaires de durabilité, telles que la Science-Based Targets Initiative (SBTi) ou le Higg Index de la Sustainable Apparel Coalition. Si certaines entreprises disposent de cadres volontaires solides, d'autres pourraient réduire leurs investissements en durabilité en l'absence de pression réglementaire.

Allongement des délais de mise en conformité

Le retard dans la mise en œuvre de la CSDDD accorde aux marques plus de temps pour ajuster leurs processus d'approvisionnement et de diligence raisonnable. Si cela permet de réduire les coûts de conformité à court terme, cela signifie également un progrès plus lent dans la résolution des enjeux critiques liés aux droits humains et à l’environnement.

Risques de désavantages concurrentiels

Les entreprises ayant déjà investi massivement dans le reporting en matière de durabilité pourraient se retrouver désavantagées par rapport à des concurrents bénéficiant de la réduction des obligations de conformité. Cela pourrait créer des inégalités au sein de l'industrie.

Perspectives d’avenir

Bien que la forme finale de ces amendements reste incertaine, une chose est claire : l'industrie de la mode doit rester vigilante. La modification des seuils de reporting pourrait alléger la charge réglementaire pour les plus petits acteurs, mais pour les grandes marques, la mise en conformité demeure un défi complexe. Des experts en durabilité, comme Suasso de Lima de Prado, soulignent que malgré ces changements, la meilleure approche reste d’aligner les pratiques de diligence raisonnable sur des cadres établis tels que les Principes directeurs des Nations Unies et les Lignes directrices de l’OCDE.

En fin de compte, les directives de l’UE en matière de durabilité évoluent, mais leurs objectifs fondamentaux—renforcer la responsabilité des entreprises et promouvoir des pratiques commerciales responsables—restent inchangés. La question de savoir si ces ajustements parviendront à trouver un équilibre entre simplification et maintien de normes de durabilité exigeantes reste un débat qui se poursuivra dans les semaines à venir.

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