L'Europe face à Trump : quelles options pour réagir ?
11 févr. 2025
Le président américain Donald Trump a récemment annoncé des droits de douane de 25 % sur les importations d'acier et d'aluminium, une mesure que la Commission européenne qualifie d'« illégale » et « économiquement contre-productive ». Face à ces décisions jugées injustifiées, l'Union européenne (UE) explore diverses stratégies pour défendre ses intérêts.
Mesures de rétorsion ciblées
L'UE pourrait répliquer en adoptant une approche déjà testée en 2018, selon Reuters. À l'époque, elle avait imposé des droits de douane sur des produits américains symboliques provenant d’États soutenant Donald Trump. Parmi eux : le bourbon du Kentucky, les motos Harley-Davidson du Wisconsin et le jus d'orange de Floride. Cette tactique vise à exercer une pression politique en ciblant des secteurs stratégiques pour l'administration américaine.
Cependant, une telle approche pourrait avoir des conséquences indirectes sur certains secteurs européens, notamment ceux dépendants des chaînes d'approvisionnement mondiales. Par exemple, l'industrie de la mode et du retail, qui importe des éléments essentiels des États-Unis, pourrait se retrouver prise au piège de ces tensions commerciales.
Instrument de lutte contre la coercition (ACI)
Mis en œuvre fin 2023, l'ACI permet à l'Union européenne de répondre aux pressions économiques exercées par des pays tiers en prenant des mesures proportionnées et ciblées. Cet outil s'inscrit dans une volonté de protéger les intérêts des États membres face à des pratiques coercitives, qu'elles soient commerciales, politiques ou financières. Parmi les mesures prévues, l'UE peut restreindre l'accès aux marchés publics européens, imposer des droits de douane supplémentaires ou limiter l'activité d'entreprises étrangères dans les secteurs des services et des investissements. En ce sens, l’ACI offre une réponse flexible et robuste aux menaces économiques externes.
Une application au secteur du luxe ?
Si l'objectif premier de l'ACI est de contrer des pratiques coercitives, son champ d'application pourrait inclure des secteurs stratégiques où les intérêts économiques européens sont particulièrement vulnérables. L'industrie du luxe, symbole du savoir-faire européen, pourrait être indirectement affectée par de telles mesures. Toutefois, ce ne serait pas via des restrictions sur les exportations vers les consommateurs américains — ces mesures risqueraient d'être contre-productives pour les entreprises européennes.
L’impact se situerait plutôt sur les opérations de fusion-acquisition ou d’introductions en bourse (IPO) impliquant des groupes du luxe comme LVMH, Kering ou Hermès. En cas de pressions américaines sur des marchés connexes ou d'une stratégie économique perçue comme agressive, l’UE pourrait utiliser l’ACI pour limiter l’accès d’investisseurs étrangers, notamment américains, à des actifs européens dans ces secteurs. Cette mesure serait cohérente avec une volonté de préserver la souveraineté économique européenne.
Une logique de protection stratégique
Limiter les rachats ou prises de contrôle par des investisseurs étrangers, tout particulièrement dans des secteurs stratégiques comme le luxe, les infrastructures technologiques ou les ressources critiques, s’inscrit dans une dynamique européenne plus large. L’ACI pourrait donc être utilisé pour :
- Protéger les entreprises européennes des prises de contrôle jugées contraires à l’intérêt stratégique de l’UE.
- Prévenir une dépendance accrue envers des acteurs extérieurs dans des industries à forte valeur ajoutée, où l’Europe reste un leader mondial.
- Encourager des investisseurs européens à reprendre ces groupes ou à participer à des IPO pour conserver ces entreprises dans le giron européen.
Vers une souveraineté renforcée ?
Dans le contexte spécifique des tensions commerciales avec les États-Unis, cette utilisation stratégique de l’ACI pourrait avoir un double effet. D’une part, elle renforcerait la position de l’UE en tant que bloc économique capable de défendre ses champions industriels et commerciaux. D’autre part, elle pourrait encourager une consolidation du capital européen autour d’acteurs locaux, évitant que des fleurons comme les maisons de luxe tombent sous contrôle étranger.
Cependant, cette approche n’est pas sans risques. Des mesures perçues comme protectionnistes pourraient exacerber les tensions avec les États-Unis et conduire à des représailles. Par ailleurs, les groupes européens eux-mêmes pourraient se retrouver limités dans leur capacité à lever des capitaux sur les marchés internationaux. Cela soulève la nécessité pour l'UE de calibrer ses mesures pour équilibrer souveraineté économique et ouverture aux investissements étrangers.
Régulation des Magnificent Seven
Les colosses de la tech comme Apple, Alphabet (Google), X (anciennement Twitter) et Meta sont également dans le viseur de l'UE. Grâce au Règlement sur les marchés numériques (DMA) et au Règlement sur les services numériques (DSA), l'UE mène des enquêtes sur leurs pratiques en matière de concurrence et de contenu. Ces régulations pourraient déboucher sur des amendes importantes ou sur des restrictions renforcées, ajoutant une pression indirecte mais substantielle sur l'administration américaine.
Ces régulations pourraient également avoir un effet domino sur des secteurs dépendants des plateformes technologiques, comme la mode et le retail. Ces industries utilisent massivement la publicité en ligne via des outils proposés par ces grands groupes. Une augmentation des coûts ou une limitation de l’accès à ces services pourrait affecter la visibilité des marques européennes et fragiliser leur compétitivité.
Taxation des services numériques
Une autre piste consiste à relancer l’idée d’une taxe sur les services numériques. Bien que l’UE ait suspendu ses travaux sur ce projet pour soutenir une initiative globale de l’OCDE, certains pays membres, comme la France, appliquent déjà une telle taxe. Lors du premier mandat de Trump, cette initiative avait entraîné une riposte sous forme de droits de douane, finalement suspendus par Joe Biden. Relancer cette taxation pourrait constituer un levier stratégique dans les discussions commerciales.
Ce levier, à l'instar de celui de la régulation, pourrait être particulièrement pertinent pour toucher les Magnificent Seven, qui tirent une part significative de leurs revenus du marché européen. Cependant, une telle mesure aurait des répercussions sur les annonceurs européens, notamment ceux de secteurs comme le retail et la mode, qui dépendent des plateformes publicitaires des géants américains.
Négociations diplomatiques
Enfin, l'UE pourrait également miser sur la diplomatie pour désamorcer les tensions. Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, prévoit de rencontrer le vice-président américain J.D. Vance à Paris pour discuter de ce dossier sensible. Toutefois, l’UE reste divisée : certains États membres militent pour une riposte immédiate, tandis que d’autres privilégient une approche plus modérée, rappelle El País.
L’Union européenne dispose d’un arsenal de réponses combinant actions ciblées, régulations économiques et initiatives diplomatiques. Cependant, ces stratégies devront intégrer les effets en cascade sur des industries stratégiques comme la mode, le luxe et la publicité numérique, tout en maintenant un équilibre entre fermeté et pragmatisme pour protéger efficacement les intérêts européens.