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Qui sont les nouveaux clients du luxe ? Que consomment-ils ?

By Florence Julienne

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Business |Interview

Mercedes Erra, fondatrice de maison BETC, agence spécialisée dans le conseil en stratégie de marques, et Clément Boisseau, cofondateur et directeur général de la stratégie Credits: BETC

Mercedes Erra, fondatrice de BETC, agence spécialisée dans le conseil en stratégie de marques, et Clément Boisseau, cofondateur de maison BETC et CSO, ont réalisé une étude pour comprendre qui sont les clients qui ont fait croître les chiffres du luxe pendant la crise Covid. Et, par extension et post-Covid, quel rapport ces nouveaux consommateurs, initiés ou non, entretiennent-ils avec le luxe ?

Pourquoi avoir réalisé une étude sur les nouveaux rapports au luxe ?

Mercedes Erra : nous pensons que les marques doivent rendre service aux gens et donc aller vers eux. Pour cela, il faut aborder des sujets fondamentaux, la relation au luxe en est un, dans la mesure où elle nous permet de positionner les marques que nous accompagnons. Nous avons besoin de connaître les idées les plus à la pointe. D’où cette étude incluant des prosumers.

Clément Boisseau : Les prosumers sont des consommateurs les plus pro-actifs et prédictifs de tendances de consommation ou sociétale à venir. Nous les identifions via douze questions, posées au préalable de toutes études quantitatives. Ces dernières sont réalisées on line par un panéliste, établi à New York.

Nous identifions les prosumers à travers leur capacité à influencer les autres avec des affirmations telles que : « souvent mes amis me demandent ce que je pense d’un sujet », « je suis intéressé par l’innovation et la création », « je pense que les entreprises ont un rôle à jouer dans l’amélioration du monde », « mes posts sur les réseaux sociaux sont souvent repartagés ou likés ».

Mercedes Erra : La qualité de l’étude réside dans des questions qui obligent à trancher. En parallèle, nous sélectionnons un échantillon mainstream (grand public, N.D.L.R.) qui nous permet d’analyser ce que pense la population, en général. La différence nous permet de savoir si la tendance de consommation va continuer à monter ou si elle se stabilise.

Clément Boisseau : cette étude représente un échantillon de 1800 personnes : Gen Z (18/25 ans), Millenials (25/35 ans) et Boomers (50 ans et plus), dont 20 % de prosumers. Nous avons ajouté un filtre : ces personnes devaient avoir dépensé au moins deux mille euros d’achat de produits de luxe par an, lors des deux dernières années.

Pourquoi vous être intéressés au rapport que les gens entretiennent avec le monde du luxe ?

Clément Boisseau : Cette étude a été réalisée dans neuf pays, qui sont les plus gros pays consommateurs de luxe : Chine, Japon, Corée du Sud, Arabie saoudite, Émirats arabes unis, France, Allemagne, UK, USA.

Mercedes Erra : Ces pays fascinent LVMH qui a compris que la consommation de luxe est là-bas. Nous travaillons avec presque tous les grands groupes de luxe (LVMH, Kering, Chanel, Richemont, L’Oréal, etc.). De fait, nous avons intérêt à être en phase avec l’évolution du marché.

Dans le luxe, 5 % des personnes achètent 40 % des articles. Ces riches ou très riches représentent un public très particulier. Après le Covid, cette niche n’a pas vraiment évolué, elle s’accroît juste un petit peu car il y a des gens de plus en plus riches (cf. les fortunes réalisées grâce à Internet).

Ce qui a fait la différence post-Covid, période pendant laquelle les ventes du luxe ont explosé, c’est cette partie aisée de la population qui a dépensé de l’argent dans des produits de luxe. Aujourd’hui, cette population a un peu moins d’argent disponible et doit trancher entre un voyage ou un article luxueux. Nous nous sommes penchés sur cette frange plus large qui a créé le sursaut du luxe.

Quand vous évoquez le luxe, de quels types de produits parlez-vous ?

Mercedes Erra : nous incluons tous les produits de luxe, mais le niveau de prix des vêtements rend leur commerce très difficile. La marque de luxe la plus équilibrée, question mode, est Chanel. Les deux marques qui fonctionnent très bien chez LVMH sont Loro Piana et Sephora (+7 quand le reste du groupe est à +2).

Ce que l’ensemble des griffes de luxe vendent le plus, ce sont des sacs et des parfums. Les produits de beauté sont concurrencés par des marques spécialisées comme Lancôme. Il est plus dur de démontrer leur savoir-faire.

Quel est le constat majeur de cette étude ?

Clément Boisseau : Avant la crise Covid, il y avait cette idée du « luxury shame ». Quand les gens achetaient beaucoup de luxe, ils se cachaient. Depuis, nous observons la remontée de la désirabilité, le côté « oui, j’assume d’acheter du luxe », « oui, j’admire les gens qui en portent ».

Par exemple, nous avons posé la question « pourquoi j’achète du luxe ? », la première réponse est « me faire plaisir ». Après trois ans de restrictions, nous sommes rentrés dans une phase où les gens peuvent économiser pendant huit à dix mois pour s’offrir un sac Chanel à 11 000 euros.

Autre fait parlant, les réponses positives à l’affirmation : « j’admire les gens qui ont la capacité de s’acheter des produits de luxe ».

Mercedes Erra : Auparavant, les gens cherchaient des arguments pour justifier leur consommation. Par exemple, ils pouvaient dire « j’achète une montre Rolex car c’est un investissement, elle dure très longtemps, je vais pouvoir la transmettre à mes enfants », ce n’est plus du tout le cas. Un paradoxe dans un monde à la consommation soi-disant maîtrisée.

Clément Boisseau : En France, nous ne revendiquons pas trop notre goût pour le luxe. Ce n'est pas le cas aux Usa, en Corée du Sud et encore moins en Arabie saoudite.

100 % des Gen Z, 73 % des Millenials et 53 % des Boomers ont répondu par la positive à l’affirmation « Les produits de luxe sont essentiels car ils me font rêver ». Cela se confirme sur les réseaux sociaux où les jeunes, au niveau international, ne suivent quasiment plus que des marques de luxe.

Mercedes Erra : le luxe remplit un vide avec du rêve et une valeur de durabilité. Ceci explique son succès et pourquoi les marques de luxe deviennent des médias. Elles racontent au monde leurs récits historiques ou futurs. Bientôt Paris sera LVMH.

Clément Boisseau : Cela permet de comprendre le succès de la marque Jacquemus. Qui est vraiment allé dans son pop-up à Séoul ? Par contre, tout le monde l’a vu sur les réseaux sociaux.

On observe une baisse de la consommation en Chine, est-ce que cela va affecter le monde du luxe ?

Mercedes Erra : Pour l’instant, tout va bien. Ces attitudes sont lentes à bouger. Nous ne sommes sur des tendances couleurs. Après, il y a toujours ce que je nomme les « thématiques de l’ordre » et les « thématiques du désordre ».

Les thématiques de l’ordre justifient l’achat d’un article de luxe. Vous ne pouvez pas dire à quelqu’un « je viens de le faire en cinq minutes et c’est du luxe ». Cela s’inscrit dans l’histoire de la maison, empreinte d’artisanat, de savoir-faire, des métiers d’art. Par exemple, « Les Journées Particulières de Louis Vuitton » permettent de visiter l’atelier situé à Asnières et le Musée des malles. De plus, Louis Vuitton publie des livres qui racontent la légende de ce maroquinier. C’est une tendance de fond également chez Hermès ou Rolex.

D’un autre côté, les marques créent des bases d’excitation, très souvent portées par les créateurs de mode. Quand les dirigeants de Louis Vuitton font appel à Marc Jacobs, le premier qui lance la mode chez Vuitton, il tague, avec impertinence, la toile Monogram.

Le désir de luxe monte au frottement de ces deux thématiques qu’il convient d’équilibrer. Prenez Gucci, la stratégie de marque n’est pas équilibrée car elle a laissé la main aux directeurs artistiques : tout d’abord Tom Ford, qui a joué sur le côté sexy, puis Alessandro Michele qui est plus baroque. Gucci n’a pas d’imaginaire couturier. Chanel et Dior s’en sortent bien car, à l’origine, les fondateurs étaient couturiers.

Les marques de luxe vont tenir et reprendre une évolution normale, notamment grâce aux Russes qui sont de plus en plus nombreux et très riches. Quand vous voulez dépasser la banalité qu’ont apportée les réseaux sociaux, le luxe est là.

Au-delà du rêve véhiculé par le luxe, quelles sont les motivations d’achat ?

Clément Boisseau : la désirabilité du produit et, pour les plus jeunes, l’influence exercée sur les réseaux sociaux. À la question « pourquoi achetez-vous du luxe ? », la réponse est « d’abord et avant tout pour le produit ». À l’affirmation « j’achète des produits de luxe quand je les vois beaucoup sur les réseaux sociaux, sur les influenceurs ou sur les célébrités », 75 % des Gen Z et 73 % des Millenials ont répondu oui, contre, seulement, 27 % des Boomers, qui sont plus sensibles au produit, à la transmission ou au savoir-faire.

Mercedes Erra : aujourd’hui, le défilé n’est plus là pour vendre des vêtements, mais pour être filmé. Les marques investissent de grosses sommes pour être visibles. À ce jeu, les célébrités ont un rôle clef.

Le rapport aux produits de luxe s’étend-il au life style ?

Clément Boisseau : l’attente commence par le produit mais, à l’affirmation « j’attends des marques de luxe qu’elles m’offrent plus qu’un produit, mais un vrai style de vie », la réponse est « oui » à 88 % pour les prosumers et 72 % pour les mainstreams.

Les marques de luxe ont une empreinte culturelle. Des maisons comme Saint Laurent ou Louis Vuitton ouvrent des départements entertainment pour aller au-delà de « quelle célébrité porte mon sac ? ». Ainsi, Saint Laurent a produit trois films qui ont été présentés au Festival de Cannes. Ce sont un peu les nouveaux Medicis.

Mercedes Erra : le luxe est un art de vivre. Son puissant imaginaire lui permet de s’étendre dans plusieurs secteurs d’activité. Dans le luxe, il y a l’idée de bénéficier d’une expérience : jouir d’un moment, être dans un hôtel de luxe, prendre le soleil sur une plage de luxe, etc. D’une certaine façon, ce sont devenues des marques de grande consommation. Tout le monde regarde, tout le monde est intéressé.

Du coup, le luxe n’est-il pas en train de perdre de sa rareté ?

Mercedes Erra : C’est l’extension du domaine du luxe, pour paraphraser Michel Houellebecq. Cependant, plus vous ouvrez, plus il faut accentuer les ancrages, sans quoi la marque perd du sens.

Paris est-elle la capitale du luxe ?

Clément Boisseau : à la question « À votre avis où est l’épicentre du luxe ? » Paris arrive en premier à 47 % pour les prosumers, 42 % pour les maistream Viennent ensuite New York, Milan, Londres, Tokyo et Shanghai.

Paris reste la capitale du luxe, nous sommes crédités de la créativité. Cependant, à savoir si « le luxe à la française est conservateur ? », la réponse est oui pour 50 % des plus jeunes et 22 % des boomers. Ceci peut expliquer, par exemple, l’arrivée de Pharrell Williams chez Louis Vuitton.

Quid de la conscience environnementale par rapport au luxe ?

Clément Boisseau : à l’affirmation « je pense que l’industrie du luxe doit être, plus que d’autres, comptables des effets du changement climatiques », la réponse est « oui » pour 70 % des prosumers et 62 % des main stream. C’est un sujet en France, mais aussi en Arabie saoudite puisque le pays est en train de promouvoir un nouveau modèle de société.

À l’affirmation « je pense que les marques de luxe font assez pour prévenir le changement climatique », la réponse et positive pour 65 % des prosumers et 57 % des main streams. Pourquoi ? Parce que le luxe est durable. Même les plus jeunes capitalisent. Sur les réseaux sociaux, ils disent « je vais acheter ce sac Celine 4 000 euros, mais je vais le revendre 2000, donc il ne me coûte que 2000 ».

Mercedes Erra : De plus, ils sont dans une logique d’investissement grâce à la seconde main. Ils ne s’interrogent pas encore sur la façon dont les articles sont fabriqués.

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