Esmod célèbre ses 180 ans, entretien avec Véronique Beaumont, la directrice générale
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Fondée en 1841 par Alexis Lavigne, Esmod célèbre cette année ses 180 ans. La plus ancienne école de mode du monde représente aujourd’hui un groupe avec cinq écoles en France - Paris, Bordeaux, Lyon, Rennes, Roubaix - et 14 autres à travers le monde - de Séoul à Beyrouth en passant par Guangzhou ou encore Istanbul. Pour cette célébration, Esmod prévoit une série d’évènements entre le 15 et le 19 novembre 2021, réunissant tous ses établissements ainsi que ses anciens élèves. Pour l’occasion, FashionUnited s’est entretenu avec Véronique Beaumont, directrice générale d’Esmod, nommée en mars 2021.
Esmod annonce plusieurs activités pour célébrer ses 180 ans, pouvez-vous nous en parler ?
Il y a certains événements dont nous pouvons parler et d’autres que nous préférons garder secret car nous prévoyons des surprises. Le thème de cet anniversaire sera : « l’héritage et le patrimoine : 180 ans d’ateliers ». Les deux événements majeurs seront l’exposition de notre patrimoine à Pantin et le défilé des 180 ans avec toutes les promotions des écoles internationales, le 18 novembre. Nous prévoyons aussi des conférences, des masterclass et des podcasts. Ces évènements seront à la fois physiques et numériques, puisque malheureusement certaines personnes ne pourront pas être avec nous. Même si la situation se rétablit, nous sommes dépendants de l’évolution de la crise sanitaire, donc nous avons prévu dès le départ une organisation phygitale.
En parlant de la situation sanitaire, comment Esmod s’est organisée depuis mars 2020 pour ses cours et avec ses élèves ?
Nous nous étions déjà organisés avant cette date puisque nous avons deux écoles en Chine, qui ont été frappées avant la France. Nous avions mis en place les cours sur Teams, nous sommes tous sur la plateforme, donc tout le réseau est relié. Il faut aussi savoir que notre maison d’édition, depuis plus de six ans, a mis à disposition, nos ouvrages en version numérique. Nous nous sommes servis de ces outils et nous avons formé nos enseignants sur la méthode pour donner des cours en ligne. Notre président, monsieur Satoru Nino, a énormément investi et nous disposons de grands écrans dans les salles de classe. Cela permet d'avoir des enseignements en présentiel et à distance en même temps. Nous avions aussi des discussions avec les élèves via WhatsApp. Les professeurs se filmaient parfois de chez eux.Pour l’école de business cela semblait évident mais pour l’école de design, c’était plus difficile. En fin de compte, nous avons eu des promotions qui ont suivi des cours en présentiel et en ligne. À la fin, il y a eu d’excellentes collections, avec une approche beaucoup plus personnalisées. À cause du décalage horaire, les cours étaient enregistrés et envoyés aux élèves qui pouvaient les suivre à n’importe quel moment. Le digital était déjà présent dans notre stratégie mais nous l’avons renforcé durant cette période avec notamment des écrans interactifs, des logiciels et une meilleure capacité wifi.
Pendant le séminaire d’été, nous avons expliqué aux professeurs qu’il fallait maintenant utiliser plusieurs formes de pédagogies pour donner aussi des pauses à nos étudiants. Nous observons surtout que la nouvelle génération a envie d'être en présentiel avec ses camarades mais parfois, elle a envie d’un break et d’avoir des choses différentes au niveau pédagogique.
Cette nouvelle génération est aussi très préoccupée par la mode durable et ça, les marques l’ont compris. Qu’en est-il d’Esmod ? Comment vous positionnez-vous face à cet enjeu ?
Nous nous sommes positionnés très tôt pour cette cause. Mary Nino, l’épouse de notre président, est très engagée depuis plus de 30 ans. Elle a toujours insufflé des pratiques durables, notamment en 2017, lorsque nous avons ouvert notre campus de Pantin. Il a été construit avec une majorité de matériaux éco-responsables. L’éco-responsabilité n’est pas seulement une histoire de produits mais aussi de RSE. Dans une ville comme Pantin, avec la mixité sociale, nous avions la volonté de nous inscrire en dehors du centre de Paris, capitale de la mode. C’est aussi ce qu’Alexis Lavigne lui-même a voulu. Le fondateur de l’école a développé des méthodes de modélisme pour toutes les morphologies. Nous avons aussi une tissuthèque au sein de l’école. Nous y avons répertorié les tissus éco-responsables, nous avons intégré des cours d’éco-responsabilité dans l’école de fashion business et de fashion design.
Nous sommes en partenariat avec plusieurs grandes marques qui nous confient leur stock de matières, de fournitures. Cela permet aux étudiants de ne pas racheter des tissus pour faire leur collection de troisième année. Nous avons aussi des partenariats avec des entreprises qui s’inscrivent dans cette démarche, je pense à Petit Bateau et aussi Printemps, qui va d’ailleurs ouvrir à Lausanne, tout un étage dédié à la mode éco-responsable. Nous avons aussi des anciens élèves qui, depuis dix ans, conçoivent des lignes recyclées, des marques éco-responsables et qui nous apportent leurs témoignages.
Quel lien gardez-vous avec les anciens élèves ?
Au bout de 180 ans, il y en a tellement ! Pour l’anniversaire à venir, nous avons établi toute une thématique autour de nos anciens élèves qui seront présents à travers les conférences, podcasts et masterclass. Rien que sur LinkedIn, nous en avons répertorié 12 000 ! Ils sont en activité, certains sont enseignants chez nous. Nos anciens élèves travaillent dans le secteur de la création, du développement de produit, etc.. Nous leur demandons souvent de s’intégrer à nos portes ouvertes, de témoigner des cours, de faire des workshops et ceux qui sont en mode management et communication reviennent parfois pour lancer des projets avec des étudiants.
Mais pour être honnête, nous voulons qu’ils se rapprochent encore plus. Nous prévoyons de lancer très prochainement une plateforme qui va regrouper nos anciens élèves.
Mon challenge, c’est de développer de nouveaux partenariats et des écoles à l’international, en fonction des nouveaux marchés qui s’ouvrent à nous, par exemple en Asie et en Afrique.
Comment expliquez-vous la longévité d’Esmod ?
D’abord, nous n’appartenons à aucun groupe financier extérieur. Nous sommes une école privée, une entreprise, plus qu’une PME. Nous avons des milliers d’étudiants à travers le monde. L’école a toujours appartenu à des personnes en lien avec la famille du fondateur. Monsieur Nino, qui a lancé la première école internationale Esmod au Japon, est un ancien élève. Il y a une histoire qui se transmet comme dans une famille. Les anciens ont vraiment un sentiment d’appartenance qui fait qu’à chaque fois, il y a une transmission de nos méthodes. Nous avons des méthodes exclusives de modélisme, donc nous avons ce patrimoine qui se transmet au fil des générations.
Depuis la fin des années 90, nous avons intégré une filière de business, pour suivre l’évolution de la mode. Nous ne nous intéressons pas qu’au luxe mais à la mode et depuis dix ans, au lifestyle. Nous avons des spécialités en accessoires, lingerie, mode enfant, etc.. Nous travaillons sur la sociologie, les époques, la nouvelle génération, et depuis trois ans, avec la crise Covid, nous travaillons sur la digitalisation. C'est quelque chose que nous avions entamé depuis une bonne période mais que nous avons dû accélérer. L’objectif pour nous est de nous adapter à chaque fois, à la période dans laquelle nous vivons. Notre avantage est que nous avons des professionnels du secteur qui interviennent et font des ateliers. Tout ceci contribue à la longévité d’Esmod.
Véronique Beaumont, vous avez un parcours dans la mode, vous avez enseigné à Esmod et depuis quelques mois, vous en êtes la directrice. Quel est votre mission et vos challenges à ce nouveau poste ?
Ma première mission est de continuer à pérenniser l’héritage, dans les pas de celles et ceux qui m’ont devancé à ce poste, à la fois dans le respect des valeurs et de l’ADN d’Esmod, l’amener à une révolution dans nos secteurs. Il faut aussi répondre aux attentes des nouvelles générations en termes de formations mais aussi des entreprises, en termes d’emplois. Il faut vraiment travailler sur l’employabilité de nos étudiants. J’ai entamé une grande réforme des programmes en intégrant de nouvelles formations. Aujourd’hui, ce n’est pas suffisant d’être uniquement un artiste, il faut que les élèves apprennent la sociologie, une culture aussi des autres secteurs. Nous avons ouvert la mode à d’autres secteurs dernièrement, l’ingénierie, la recherche, l’hôtellerie, l’art de vivre à la française. Esmod est une école née en France et surtout à Paris, nous essayons de mettre en avant les métiers d’art et le savoir faire à la française.
La digitalisation aussi est indispensable pour nous permettre d’être plus visibles au niveau de la communication mais aussi de former nos étudiants à cette hybridation qui est demandée par toutes les entreprises, à la fois de savoir travailler à la main mais aussi de savoir utiliser des tablettes et de créer des choses via les logiciels. Mon challenge, c’est de développer de nouveaux partenariats et des écoles à l’international, en fonction des nouveaux marchés. Il y a aussi de nouveaux marchés qui s’ouvrent à nous, par exemple en Asie et en Afrique.
Nous avons 68 nationalités parmi nos étudiants à Paris. Depuis quelques années, nous voyons arriver beaucoup plus d’africains, des élèves qui viennent du Nigeria, du Cameroun, etc. Nous réalisons que nous devons toucher ce marché, développer de nouveaux partenariats avec des écoles existantes qui n’ont pas de filières mode ou alors lancer de nouvelles écoles Esmod qui représenteront les nouveaux territoires de la mode.
Crédit : Esmod