Nonchalance, évasion et denim à la Semaine de la Haute Couture à Paris

La haute couture adaptée au quotidien semblait être la devise des défilés de la Semaine parisienne de la haute couture automne 2023. Alors que la mort de Nahel Merzouk, un adolescent de 17 ans tué par un policier, a déclenché une vague de protestations partiellement violentes dans la capitale française, l'élite de la mode s'est abandonnée aux plaisirs raffinés de la vie et à la haute couture.

Les maisons de couture n'ont pas pu prévoir la situation dans laquelle leurs collections verraient le jour, puisqu'elles étaient en préparation depuis plusieurs mois, pourtant, certaines collections ont paru refléter l'état du monde réel. Et tandis que certains défilés ont montré une retenue surprenante et une touche de casual, un mot rarement associé à la haute couture, d'autres ont mis en avant un surréalisme opulent et des visions fantasmées.

Un surréalisme retenu et une touche de réalisme

Le maître actuel du surréalisme, Daniel Roseberry pour Schiaparelli, a suivi les traces d'Elsa Schiaparelli elle-même et s'est inspiré d'artistes. Sa collection, certainement moins controversée mais tout aussi magistrale que les têtes de lion empaillées de la saison dernière, présentait des éléments rappelant Yves Klein et Lucian Freud, et était intitulée de manière appropriée « ...et l'artiste ». Selon Vanessa Friedman, critique de mode en chef du New York Times, il s'agissait d'un changement de dernière minute par rapport à « Purgatorio », deuxième partie d'une trilogie théâtrale inspirée de La Divine Comédie de Dante Alighieri, un poème narratif italien.

Il y avait des manteaux aux formes expérimentales, fluides et bicolores, de la corseterie transparente et des vêtements évoquant la palette d'un artiste, ainsi que des tenues noires élégantes contrastant avec le vibrant bleu Yves Klein et l'or caractéristique de la marque. Bien sûr, plusieurs éléments atypiques ont fait leur apparition, notamment des bras en bois sur une silhouette au volume extrême en franges de mohair ivoire. Mais tandis que le surréalisme régnait toujours en maître sur le podium Schiaparelli, la collection était, selon les normes de la marque, relativement discrète, ce qui permettait d'apprécier son savoir-faire sans trop de gadgets ou de distractions.

Chez Dior, les artifices n'étaient pas au rendez-vous. La directrice artistique Maria Grazia Chiuri a présenté une collection aussi simpliste que délicate. La créatrice s'est inspirée des muses grecques et romaines et les a vêtues de délicats tissus blancs et de robes transparentes dignes de nymphes, ainsi que de tuniques minimalistes. Ce qui mérite d'être souligné, ce sont les chaussures plates qui ont accompagné les mannequins sur le podium, une tendance qui s'est poursuivie tout au long de la semaine de la haute couture, durant laquelle les talons vertigineux ont été remplacés par des ballerines et leurs homologues. Aussi contradictoire que cela puisse paraître si l'on se rappelle du vieux dicton « plus l'économie est basse, plus les talons sont hauts », la praticité des chaussures semblait être au premier plan pour l'automne 2023, quand bien même ces souliers étaient associés à d'immenses robes de bal en taffetas et en dentelle, comme ce fut le cas chez Giambattista Valli.

Prêt-à-porter ou haute couture ?

Thom Browne a apporté une touche de drama à l'occasion de ses débuts dans la haute couture. Toutefois, c'est la chorégraphie du show et son récit que l'on retient, bien plus que ses costumes gris signatures, similaires à ceux de ses collections de prêt-à-porter à l'esprit couture. Peut-être est-ce précisément ce qui a offensé Giorgio Armani, lequel a déclaré au journal italien La Repubblica que « la distinction entre haute couture et prêt-à-porter est de plus en plus difficile, car la première devient de plus en plus normale et la seconde est toujours plus distinguée ». Une raison suffisante pour que le couturier envisage de présenter ses collections Armani Privé à Milan, sa ville natale, lors des prochaines saisons.

Les mots d'Armani étaient aussi vrais que sa collection était remarquable. Que ce soit parce qu'il continue de présenter la haute couture dans sa forme la plus pure, des tenues de soirée richement brodées, ou parce que de nombreux designers ont depuis redéfini la véritable signification du mot, cela reste ouvert à interprétation. Il est en tout cas indéniable que cette saison de haute couture avait une atmosphère étonnamment décontractée.

Troquant la verrière du Grand Palais pour les rues pavées de Paris, la griffe Chanel a fait défiler ses mannequins le long de la Seine. La directrice créative Virginie Viard a présenté une collection qui semblait être une version fantasmée de la frenchitude - sacs en osier, fleurs et promenades de chiens incluses. Coïncidence, le défilé a été ouvert par le mannequin Caroline de Maigret, auteure du best-seller « How to be Parisian Wherever You Are », et qui a ainsi inspiré de nombreuses femmes à imiter le style parisien. La collection se composait en grande partie de vêtements de jour, peut-être au grand dam d'Armani. Même la célèbre mariée de Chanel portait une robe mi-longue étonnamment simple.

Chez Balenciaga, Demna semblait avoir deux opinions sur l'état actuel de la haute couture, donnant à la fois vie à ce qu'il considérait être de la « haute couture casual » - comme il l'a appelé selon le New York Times - et à une réplique d'une archive de Cristobal Balenciaga, avec laquelle il a ouvert le défilé - porté par Danielle Slavik, un mannequin qui a déjà travaillé comme mannequin cabine pour le maestro fondateur. Il y avait une abondance de noir, des tenues de soirée ainsi que du streetwear, des robes en cotte de mailles et une « armure Jeanne d'Arc » imprimée en 3D portée par l'artiste Eliza Douglas. Une silhouette a fait référence au célèbre ensemble rose vif de Marilyn Monroe avec les mots « Diamonds are a girl's best friend ».

La cotte de mailles et l'armure ne se sont pas seulement manifestées chez Balenciaga, elles ont également joué un rôle dans la collection du designer de Rabanne, Julien Dossena, sur le podium de Jean Paul Gaultier. Le designer français est le dernier en date à créer une collection couture pour la maison Gaultier après le retrait du créateur éponyme de la haute couture il y a quelques années. Julien Dossena, qui est à la tête de Rabanne, récemment rebaptisé, depuis une décennie, a rendu hommage à Gaultier et à Rabanne avec une robe à soutien-gorge pointu, issue du premier défilé de Gaultier en 1984, revisité en cotte de mailles argentée. Il y avait de nombreuses références aux archives : des robes marinières rayées bleues et blanches, une relecture de la robe nue - avec poils pubiens factices inclus - et des costumes à rayures.

Le défilé de Pierpaolo Piccioli pour Valentino résume la semaine de la haute couture de bien des façons. Le designer a décidé d'ouvrir son défilé avec une silhouette en jeans, chemise blanche et chaussures plates, agrémentée de boucles d'oreilles qui pourraient facilement être confondues avec les lustres du château. À première vue, ce look contrastait fortement avec le décor pompeux, mais il s'est avéré que le pantalon était un trompe-l'œil. À la place du denim, un tissu de soie était brodé de micro-perles pour donner l'apparence d'une tenue de travail, un détail que l'on a également remarqué sur le podium de Jean Paul Gaultier, bien que la version de Valentino semble avoir suscité beaucoup plus d'attention.

La collection haute couture de Piccioli, malgré toute sa splendeur, avait une touche casual, que ce soit l'attitude des mannequins et leurs chaussures plates notables ou la coupe décontractée des pantalons brodés de cristaux. La collection combinait à la fois simplicité et grandeur, ce qui traduit peut-être la vision la plus moderne de la haute couture contemporaine de la saison. Une vision qui a valu au designer italien une standing ovation alors qu'il saluait avec son équipe.

Alors que la saison automne 2023 tire à sa fin, une chose reste certaine : la haute couture est par essence un plaisir, un rêve lointain pour la plupart et une réalité pour très peu de personnes. Il n'est donc peut-être pas étonnant que beaucoup de designers aient choisi de rester insouciants face à la réalité actuelle de Paris en plongeant dans la fantaisie, même si celle-ci paraissait faussement réaliste pour la saison à venir. Alors que l'on raconte que Marie-Antoinette suggéra au peuple français de manger de la brioche pendant la Révolution française, aujourd’hui, cette révolution est apparemment alimentée non pas par de délicieuses sucreries, mais par une haute couture qui ressemble à des vêtements de tous les jours.

Cet article a initialement été publié sur FashionUnited.com. Il a été traduit et édité en français par FashionUnited France.