Sonia Rykiel : pourquoi la griffe n’a pas été sauvée ?
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Annoncée jeudi 25 juillet, la liquidation judiciaire immédiate de la marque de mode Sonia Rykiel laisse sous le choc les 135 employés et bon nombre de Françaises et amoureux de la maison. Comment en est-on arrivé là ?
Il y avait foule aux obsèques de Sonia Rykiel le 1er septembre 2016 au cimetière Montparnasse à Paris ; foule aussi pour l’inauguration de l’« Allée Sonia Rykiel » en septembre 2018, une distinction inédite à Paris pour une créatrice de mode, enchaînant sur le défilé qui célébrait les 50 ans de la marque. Et une première aussi dans les rues de Paris ! De fait, ni Christian Dior ou Yves Saint Laurent n’ont encore de rues à leur nom. Un moment fort où la maire de Paris, Anne Hidalgo, puis Nathalie Rykiel, la fille de Sonia Rykiel, rappelaient alors que : « baptiser une rue de Paris, quelle que soit sa taille, c’était inscrire une personnalité dans l’éternité. »
Quand la canicule efface l'actualité
Pourtant, aujourd’hui, l’éternité semble réduite à néant tant le business en a décidé autrement. Jeudi 25 juillet quand le tribunal de Paris a prononcé la liquidation judiciaire immédiate, la peine était double. Pas de temps supplémentaire, fermeture définitive des 10 boutiques existantes dès le vendredi 26 juillet, des employés laissés sur le trottoir en attente de négociations concernant leurs indemnités, mais surtout le plus grave : la disparition de Sonia Rykiel, une griffe de mode qui fait partie du patrimoine depuis 1968. « Malgré le soutient et les témoignages de la profession pour les employés de la marque, nous sommes tous très étonnés du peu de réactions en haut lieu, confie une ex-employée de la maison. Tout le monde est là pour les hommages et les premiers rangs des défilés, mais personne ne se manifeste pour une décision de cette importance. Même pas le Ministre de la culture ! » En pleine canicule et vacances scolaires, la hiérarchisation de l'information fait froid dans le dos. À l’heure où l’on milite pour les droits de la femme, ceux du corps et des inégalités professionnelles, le nom et la mémoire de Sonia Rykiel, qui a toujours défendu la liberté des femmes, sont plus que jamais ancrés dans l’actualité.
Un enterrement et plusieurs mariages ratés
Alors comment une telle tragédie peut-elle se produire ? Si on ne refait pas l’histoire, plusieurs explications sont là. « Sonia Rykiel a toujours bien su s’entourer, c’était l’une de ses grandes forces, elle savait déléguer et s’en remettre aux autres, rappelle l'ex-employée. Trois hommes en particulier l’ont accompagnée pendant 20 ans et ont participé au succès de la maison : l’ancien directeur général adjoint Gilles Carpentier, le directeur commercial Didier Grospiron et son ex-gendre Simon Burstein. » L’entreprise familiale aux comptes toujours bien tenus passe un nouveau cap avec l’arrivée de Nathalie Rykiel au poste de présidente en 2007. Les derniers managers masculins sont alors remerciés et Nathalie amène un second souffle à la maison. En 2008, Sonia Rykiel c’était : 430 employés, 108 millions d’euros de chiffre d’affaires, 65 boutiques et une présence dans plus de 1 900 magasins multimarques dans 30 pays. Comment la griffe jusqu’alors entièrement auto financée, qui a longtemps fait figure d’exception dans la mode française, a t-elle basculé dans le rouge ? Au fil des années, le chiffre d’affaires s’est tassé puis a stagné en 2011 (90 millions d’euros). En 2012, surprise : l’entreprise cède 80 pour cent de Sonia Rykiel au groupe First Heritage Brands, holding de la famille Fung, originaire de Hong Kong qui détient aussi le maroquinier Delvaux et le chausseur Robert Clergerie. Objectif annoncé : se déployer à l’international. Suivra le décès de la créatrice en 2016 et quelques mois plus tard la suppression d’un quart des effectifs. Quant au choix de la direction artistique, crucial, il s’est avéré hasardeux. Après l’Ecossaise April Crichton (2011), le Canadien Geraldo da Conceicao (2012), Julie de Libran est nommée en 2014 avant de quitter la maison en mars 2019. « Son talent n’est pas remis en cause mais le mariage n’a pas pris, poursuit l'ex-employée qui préfère rester anonyme. Sonia Rykiel est une maison qui nécessite de l’humilité, il faut entrer dans ses codes et surtout ne pas l’intellectualiser. La femme Rykiel c'était avant tout la joie de vivre, les rayures, les strass, les mots et surtout l’humour. »
« Sonia Rykiel est une maison qui nécessite de l’humilité, il faut entrer dans ses codes et surtout ne pas l’intellectualiser. La femme Rykiel c'était avant tout la joie de vivre, les rayures, les strass, les mots et surtout l’humour ».
Rideau !
Mais n’est-ce pas non plus toute une industrie et l’époque qui ont changé ? « Madame Rykiel était exigeante mais elle était aimée et respectée, elle échangeait beaucoup avec les équipes et son bureau toujours ouvert se trouvait au dessus de la boutique à Saint-Germain », rappelle notre source. Cet immeuble chargé de souvenirs du boulevard Saint-Germain à Paris (6ème arrondissement), siège historique de la marque, est toujours la propriété de la famille Rykiel. Un détail qui n'a pas facilité le rapprochement avec les repreneurs. Parmi ceux-ci, Emmanuel Diemoz, ancien dirigeant de Balmain, qui s’était également porté candidat à la reprise de la marque Carven il y a un an, n’a pas trouvé d’accord avec celle-ci.
Au final, depuis l’appel d’offres à la reprise de l’entreprise parisienne fondée en 1968, sur la dizaine de dossiers qui avaient marqué leur intérêt, un seul était parvenu aux administrateurs judiciaires. Il s’agissait de celui de Nicole Lévy et son fils Julien Sedbon, entrepreneurs du secteur immobiliers, qui proposaient de reprendre l’entreprise et 39 salariés et de la relancer sur le web. Mais au final, celui-ci n’a même pas été défendu au tribunal de commerce pour cause d’avis défavorable des administrateurs judiciaires émis à leur encontre. Alea jacta est ! Alors que Lola, la petite fille de Sonia Rykiel et fille de Nathalie, vient de lancer sa propre marque baptisée Pompom (des pièces de mode chic et sport rehaussées de pompons, un détail qu’elle affectionne), la famille reste muette. « Au départ, il y a quelques mois, il n’était pas question de liquidation, conclue notre source. Mais il n’y a depuis aucune collaboration de la part de la famille, le nom de Sonia Rykiel disparaît dans l’indifférence générale. Aujourd’hui, c’est un fleuron de la culture française qui s’éteint, on enterre Sonia Rykiel pour la seconde fois. Personne n’y croit, c’est une fin violente qu'aucun de nous n’aurait pu imaginer. »
Photos : ©Sonia Rykiel, collection été 2019 - Flagship Sonia Rykiel ouvert à Madrid en mai 2018 ©Manolo Yllera - Silhouettes ©Sonia Rykiel SS/2020 pre collection par Julie de Libran.
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