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Luxe et reprise : les grandes tendances de l’après Covid

By Odile Mopin

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Business |INTERVIEW

Les conjonctures de l’impact du coronavirus sur le luxe vont bon train. A court terme, on le connait. Toutes les maisons et griffes premium ont accusé au premier trimestre des pertes importantes et en subiront encore au second. Mais à moyen et plus long terme, à quel avenir, à quelles évolutions structurelles va se confronter le secteur ? Thomas Chauvet, analyste financier responsable de la couverture du luxe chez Citigroup, le premier groupe bancaire mondial, décode les grands courants qui vont traverser et sans doute modifier durablement les marques de luxe. Entretien.

Selon de nombreux analystes, dont le cabinet Bain & Co, les ventes dans le secteur du luxe ont reculé de 20 à 35 pour cent au premier trimestre. Quels sont vos prévisions pour le premier semestre et plus généralement pour l’ensemble de l’année 2020 ?

Thomas Chauvet : Avec les fermetures de boutiques en Chine puis en Europe et aux Etats-Unis, nous prévoyons un recul des ventes d’environ 40 pour cent au premier semestre, dont plus de 50 pour cent de baisse au deuxième trimestre. Sur le second semestre, les baisses devaient être moindres : entre – 10 et – 15 pour cent, avec une amélioration séquentielle entre le troisième et le quatrième trimestre. Donc, sur l’ensemble de l’année, nous prévoyons un recul global de 20 à 25 pour cent, avec une forte pression sur la profitabilité.

Certes, l’ensemble du réseau de boutiques sera à priori rouvert au troisième trimestre, mais avec une confiance des consommateurs en forte baisse et un effondrement des flux touristiques, nous anticipons une reprise très lente du trafic, notamment en Europe. Aux Etats-Unis, un marché clé pour le secteur du luxe, les élections présidentielles au quatrième trimestre risquent de créer un attentisme chez le consommateur, comme nous l’avons observé lors d’élections précédentes.

Seuls certains marchés auront une croissance positive au quatrième trimestre – la Chine et la Corée notamment. Au-delà de 2020, la question est de savoir quel sera le niveau de la reprise en 2021 et 2022 – à la fois pour les ventes mais aussi la profitabilité.

En 2019, de nombreux groupes de luxe ont atteint des ventes et une profitabilité record. L’industrie du luxe a historiquement plutôt bien géré les crises – comme celles de 2001-03, la crise financière de 2008-09 et le fort ralentissement de la demande chinoise en 2014-15 suite au changement de leadership politique en Chine. Il y aura bien sur un ‘’reset’’ important, mais l’industrie du luxe est bien préparée à affronter cette crise – tant sur la capacite à réduire les coûts que de sa très bonne solidité financière.

Un « nettoyage » est-il à prévoir dans le secteur ? Quels seraient alors les facteurs déterminants pour la résilience ou la défaillance d’une griffe ?

Il faut prendre en compte des tendances de fond, qui existaient déjà avant la pandémie : forte compétition entre les marques, rapatriement de la demande touristique vers les marchés domestiques notamment en Chine, rationalisation des réseaux de distribution. Enfin, l’accélération du commerce en ligne et des services omni-canal. Le Covid va jouer un rôle d’amplificateur de ces tendances.

Pendant très longtemps, la forte croissance du luxe a été tirée en partie par des ouvertures de boutiques – notamment en Chine et dans les marchés émergents – et par une hausse continue des prix souvent supérieure à l’inflation. La croissance organique, liée aux effets volumes, était finalement assez faible.

Depuis 4, 5 ans, avec la saturation des réseaux de distribution et un moindre pouvoir d’augmenter les prix face à un consommateur peut-être plus ‘’price sensitive’’ : les leviers historiques de la croissance du secteur ont largement disparu. Néanmoins, dans un environnement macroéconomique mondial tràs favorable, l’essentiel de la croissance a été tiré par une forte progression des volumes, reflétant un renforcement de la stratégie de développement produit.

Les groupes de luxe mènent actuellement une vraie réflexion sur la taille optimale de leurs réseaux, particulièrement en Europe. Des boutiques vont fermer, en France, en Italie, en Grande-Bretagne. Tandis que le commerce en ligne, via les sites en propre des marques va s’accélérer.

Si les marques veulent recruter de nouveaux clients, des Millennials, elles savent qu’elles doivent baisser leur prix d’entrée. Jouer sur le produit, l’innovation, la créativité, ne plus dépendre essentiellement des volumes. Le produit est au cœur de la stratégie de marque. Bien sûr, la qualité du réseau de distribution, l’expérience client en boutique et la communication restent des facteurs importants. Mais le produit est devenu l’élément-clé de succès pour une marque, plus que tous les autres. Si les marques veulent recruter et fidéliser de nouveaux clients – notamment la population de Millennials et Genération Z – elles doivent mettre l’accent sur la créativité, l’innovation et l’accessibilité prix, tout en restant exclusives. A ce titre, nous observons une très grande polarisation de croissance entre les marques depuis quelques années – avec des transferts de parts de marché importants. Gucci, au sein du groupe Kering, a été incontestablement le plus grand bénéficiaire de ce phénomène. La compétition entre les marques, mais aussi entre les catégories de produit, reste intense. Celles aussi, et se sont souvent les mêmes qui renforcent leurs gammes avec de nouvelles catégories de produits, à commencer par les sneakers, mais aussi la petite maroquinerie, etc. Celles qui jouent la carte des collaborations désirables.

Le luxe est également aujourd’hui plus dépendant du tourisme qu’il y a dix ans.

Effectivement, c’est un paramètre important. En 2019, nous estimons que 30 à 35 pour cent des ventes du secteur du luxe ont été réalisées par des touristes, dont environ la moitié sont des chinois. Les différents scénarios de reprise de la demande de luxe en 2021 dépendent beaucoup de l’évolution de la reprise du tourisme mondial, notamment intra-Asie et vers l’Europe, pour lesquels nous sommes assez pessimistes. Cette faiblesse du tourisme sera en partie compensée par une tendance de fond, qui est le rapatriement de la demande touristique vers les marchés domestiques. C’est ce qui s’est produit au Japon il y a 20 ans, et maintenant en Chine. Pour un produit de luxe, l’écart de prix entre la Chine et Hong Kong ou l’Europe s’est considérablement réduit depuis quelques années. Cela reflète la faiblesse de la devise chinoise par rapport au dollar et à l’euro, mais surtout la volonté du gouvernement chinois de promouvoir la consommation domestique aux dépens de la consommation chinoise à l’étranger, qui est en quelque sorte un marché parallèle. La Chine a baissé les taxes douanières sur les produits de luxe ainsi que la TVA, ce qui a mécaniquement réduit l’écart de prix entre la Chine et le reste du monde, et favorisé la demande domestique.

Avec cette tendance – moins de demande touristique, plus de demande locale – se pose la question sur la taille optimale des réseaux de distribution, une réflexion que vont prochainement mener les acteurs du secteur. Il est très probable qu’à moyen terme on assiste à un nombre important de fermetures de boutiques dans les destinations prisées des touristes chinois – Hong Kong, Macao et les capitales européennes notamment. Dans le même temps, les marques mettront un accent plus fort sur la qualité de leur réseau de distribution à destination de la clientèle locale, tandis que le commerce en ligne, via les sites en propre des marques va s’accélérer.

Cette crise est -elle en train de transformer durablement l’écosystème de la mode ? Le rythme va-t-il ralentir, ce qu’appelle de ses vœux Giorgio Armani, ou encore Gucci et Saint Laurent, qui appellent à repenser les Fashion Weeks et se rebellent contre la « frénésie » de renouvellement ?

C’est une vraie question, cruciale pour le segment du prêt-à-porter et dans une moindre mesure la maroquinerie. Elle se pose beaucoup moins pour l’horlogerie ou la joaillerie dont le cycle produit est plus lent. Dans la mode, le rythme s’est considérablement accéléré au cours des 10 dernières années, les griffes présentent jusqu’à six collections par an en plus de produits en édition limitée ou issus de collaborations, un rythme également dicté par l’influence des réseaux sociaux et de ses fashion bloggeurs. On peut parler d’une certaine hystérie, qui devrait se calmer, avec une volonté de freiner un consumérisme excessif dont l’impact est négatif pour la planète. Le rythme de production va ralentir, les collections se désaisonnaliser, et le cycle produit s’allonger avec l’essor des plateformes de revente.

Cette évolution serait en phase avec l’enjeu crucial de l’éco-responsabilité. Les marques sont -elles réellement prêtes à rogner sur leurs profits pour réduire leur impact environnemental ?

C’est une démarche qu’elles ont déjà entamée, notamment avec le Fashion Pact, mais elle va s’accélérer. L’industrie du luxe a un rôle essentiel à jouer. Certains acteurs comme Kering ou Burberry ont mis l’environnement et la ‘’sustainability’’ au cœur de leur stratégie. Les prochaines Fashion Weeks seront probablement virtuelles. La légitimité des salons est de plus en plus questionnée. Ces phénomènes vont modifier l’écosystème du secteur. Moins de déplacements d’acheteurs, moins de transport aérien, plus de virtuel. Moins de frénésie et potentiellement une meilleure gestion des coûts et des risques. La mode doit se réinventer et devenir plus responsable.

Pour en savoir plus sur les impacts du Covid-19 liés au secteur de la mode, rendez-vous sur notre page dédiée.
Pour ne louper aucune actualité internationale liée au Covid-19, rendez-vous sur notre page en anglais
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Crédit: Gucci, Hermès, Thomas Chauvet

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