Masques : décryptage d’une histoire française… et mondialisée
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Depuis le 4 mai, les consommateurs peuvent acheter des masques en grande distribution, enfin dans certaines enseignes. Carrefour devrait en proposer 225 millions (chirurgicaux comme grand public), Leclerc 170 millions, etc. Des commandes et approvisionnements autorisés par le gouvernement depuis le 24 avril. Et des stocks constitués, accumulés depuis plus d’un mois…
Ce nouvel état de fait ne manque pas de faire grincer les dents de la filière textile française, mobilisée en masse (environ 900 entreprises, soit les deux tiers du secteur ont reconfiguré leur production en vue d’approvisionner l’Hexagone en masques, jetables ou lavables, depuis mars). Un mouvement sans précédent coordonné par le site www.savoirfaireensemble.fr, mis en place par le comité de filière Mode & Luxe.
Marc Pradal, le président de l’UFIMH (Union française des industries Mode et Habillement), décrypte pour FashionUnited la situation. Entretien.
FashionUnited : Combien la filière a -t-elle fabriqué de masques jusqu’à présent … Et où sont-ils ?
Marc Pradal : Plus de 10 millions. L’urgence était d’abord de fournir les salariés devant se rendre au travail, en contact ou non avec le public. Puis, développer la production pour nos concitoyens. Plus globalement, pour le grand public, on estime qu’il faut fournir 50 millions de personnes en France. Là, on parle plutôt de produits en tissu, lavables de dix à vingt fois. Nous en sommes aujourd’hui à 4 millions par jour. Un effort sans précédent. Ces produits sont en train d’être livrés aux régions, aux départements, aux municipalités, avec des commandes corrélées à la taille des communes. La décision d’une distribution gratuite ou payante est laissée à la discrétion des collectivités.
Les entreprises textiles ne sont-elles donc pas dans la boucle des commandes des grandes surfaces ?
Non, les grandes surfaces se sont organisées pour sourcer principalement en Asie, notamment en Chine, depuis quelques semaines, avec l’assistance de l’Etat français.
Alors que nous avons été les premiers à nous impliquer et que nous fabriquons des produits de qualité, évalué selon les exigences techniques en cours le gouvernement a demandé à la grande distribution de s’organiser pour vendre des masques, jetables ou lavables, le moins cher possible, à prix bloqués. Pour donner un exemple concret, les masques chirurgicaux sont vendus par lots de 5 ou 10 directement en caisse à prix coûtant, soit 58 centimes, et ceux en tissu, les lavables, sont à moins d’un euro (0, 95 centimes).
Or, les fabricants français vendent leurs produits en moyenne à 1, 60 euros, pour les jetables et 3, 90 euros pour les lavables, pour un coût de production d’environ 3 euros pièce pour ces derniers. Parce que nos industriels prennent en compte les tissus français, la confection, française, et donc le coût de la main d’œuvre. Et encore une fois, la distribution de nos produits sera gratuite ou non, selon les régions et mairies.
Vous avez le sentiment d’être « doublé » ?
Oui et non … car nous ne sommes pas en capacité de livrer massivement, d’un coup l’ensemble de ces masques nécessaires. C’est selon la capacité de production des fabricants. Les charges de production actuelles courent jusqu’à fin mai, mi-juin, voir plus. Par ailleurs, en ce qui concerne les masques nous sommes soumis à un cahier des charges très stricts de la DGE (Direction générale des entreprises) et de la DGA (direction générale des armées) … Tout cela prend du temps, doit être visé par l’IFTH (L’institut français du textile technique). Nous sommes également soumis à la surveillance de la DGCCRF (Direction générale de la répression des fraudes et de la concurrence). La filière française est en train de se faire devancer par les enjeux, une fois de plus, de la mondialisation. Nous ne remettons pas en cause la nécessité de directives et de cahiers des charges, bien évidemment, mais aurions souhaité plus de collaboration face à l’urgence de la crise sanitaire.
Cependant, la filière textile-habillement française, souvent dévalorisée aux yeux du grand public, sort par le haut de crise. La mise en lumière de vos industries est sans précédent.
C’est vrai et nous avons beaucoup investi. Bientôt, l’offre sera supérieure à la demande. Concrètement, et de façon purement pragmatique au regard de la gravité de la situation, cette nouvelle production nous a permis de faire tourner les ateliers pendant la crise. Toutefois, il faut rappeler que nos entreprises n’ont conservé en moyenne que 30 pour cent de leurs effectifs.
Mais il est aujourd’hui temps de penser à « l’après » et de redéfinir une stratégie industrielle et commerciale du secteur Textile-Habillement. J’ai relancé, dans le cadre du CSF une commission élargie, composée d’experts, afin de réfléchir aux possibilités réalistes de relocation de la production en proximité. Soit l’Euromed et bien sur le Made in France. Il faudrait rééquilibrer les zones d’approvisionnement. On voit bien les failles de ce système mondialisé.
Des pistes existent : retrouver une certaine autonomie industrielle en France. La « préférence nationale » dans les appels d’offres serait un enjeu crucial pour atteindre cet objectif. Il s’agit aussi d’intensifier l’effort sur « l’Usine du futur », l’amélioration de notre outil industriel. Autre piste, la collaboration entre les acteurs de la filière comme le Textile et l’Habillement et demain les marques, pour privilégier le circuit court en vue d’une mode durable. La réalisation de cette plateforme savoirfaireensemble est un véritable révélateur pour le Made In France du futur constaté pendant cette crise.
En ce qui concerne les importations de proximité, nous observons actuellement le « débloquage » progressif de la zone Euromed. Voici seulement quinze jours, les usines tunisiennes n’étaient qu’à 10 – 15 pour cent de leurs effectifs. Aujourd’hui, c’est remonté à 50 pour cent. Le Maroc est également en train de se rouvrir.
Nous croyons fermement en la revitalisation de notre filière textile-habillement, en y associant les marques. Car l’avenir passe par le circuit court, la mode durable. C’est en tout ce à quoi aspirent, les consommateurs. C’est encore plus vrai aujourd’hui qu’hier ».
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crédit : Marc Pradal, Kiplay