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La mode post-covid : quel avenir pour l’Afrique?

By Sharon Camara

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Avec plus de 300 000 personnes contaminées, l’Afrique est encore loin des chiffres élevés enregistrés à l’international. Pourtant la période de confinement a impacté les économies locales et incité les acteurs de la mode à réfléchir à des moyens de se réinventer pour être toujours productifs et ainsi pouvoir répondre aux besoins du consommateur.

S’interrogeant sur l’avenir de la mode sur le continent africain, Omoyemi Akerele, fondatrice de la Lagos Fashion Week a organisé un débat en live sur Youtube avec d’autres professionnelles de la mode. « Pouvoir se réunir pour discuter de l’avenir de la mode en Afrique était une action très importante. Il fallait le faire avant même de penser à relancer la production ou la réalisation de nouvelles collections. D’habitude nous avons ce genre de conversation entre nous mais je pense que cette fois-ci, il était indispensable d’apporter ce débat sur la place publique et d’inviter tout le monde à la réflexion », explique-t-elle à FashionUnited. Pour l’occasion, Omoyemi Akerele a réuni quatre femmes, impliquées dans l’évolution de la mode sur le continent : Adama N’Diaye, fondatrice de la Dakar Fashion Week, Lucilla Booyzen, à l’origine de la South African Fashion Week, Gloria Wavamunno, qui a lancé la Kampala Fashion Week et Claudia Lumor, fondatrice de Glitz Africa Magazine.

Pour ces professionnelles, la force de la mode en Afrique viendra de l’union entre les différents évènements organisés partout sur le continent. « Cette saison, nous ne parlons que de communauté, de collaboration, de création et c'est important pour l'avenir de la mode sur le continent. Depuis l’année dernière, je réfléchis à lancer une conférence internationale et de parler de ce que devrait être la mode sur le continent. Mon objectif est de montrer que l’avenir de l’industrie est entre nos mains. Nous devons travailler, individuellement et collectivement, pour le construire. Il était donc très important pour moi de trouver un moyen de rassembler des acteurs du secteur dans un même endroit afin d’en discuter. Suite à la pandémie, nous avons lancé les discussions en live sur Youtube. L’ambition est d’avoir une plateforme collective pour la mode africaine », confie Omoyemi.

Vers la création d’un « African Fashion Council » ?

Les spécialistes réunies lors de ce direct sur Youtube se sont accordées sur une idée principale : l’avenir de la mode passera par l’échange, la collaboration, le partage de connaissances. Un projet qui pourrait se concrétiser avec la création d’un « African Fashion Council » comme l’a suggéré Adama N’Diaye lors du live. Le but serait de rassembler des créateurs et des spécialistes venus de tout le continent. Malgré les différences de cultures et de langues, Omoyemi estime qu’il s’agit de la prochaine étape dans l’évolution de la mode africaine : « Nous devons travailler ensemble ! S’il faut le faire par le biais d’une organisation commune, faisons-le. Nous devons être capable de nous réunir et de concrétiser ce projet. La collaboration entre différentes forces peut aider à construire un réseau d'entreprises de mode. Celles-ci peuvent avoir un impact sur les économies africaines en créant un changement, des connaissances, un développement, des compétences et des emplois. Travailler ensemble, c’est se donner la possibilité de développer un marché africain », précise-t-elle.

Le digital confirme son impact

Dès les premiers jours du confinement, les professionnels du secteur ont renforcé leur présence sur les réseaux sociaux, l’un des seuls moyens efficace pour communiquer avec le grand public. En Afrique comme partout dans le monde, l’utilisation d’Instagram, de Facebook et des sites internet est devenu indispensable. Les marques et les créateurs y partagent leurs nouvelles créations, certains organisent des débats en live ou encore des activités ludiques et originales. Mais le 22 mai 2020, l’usage des réseaux sociaux par les créateurs de mode a pris une autre dimension avec Hanifa Mvuemba. La créatrice congolaise de 29 ans a diffusé un défilé en 3D sur son compte Instagram. Une prouesse acclamée par le public et par les plus grands magazines internationaux. « Faire des shows en 3D sur les médias sociaux, c'est sans aucun doute ça l'avenir de la mode ! J'ai adoré voir ces mannequins virtuels défiler mais au-delà de l’esthétique, elle m’a fait voyager au Congo avec elle. J’ai été touchée par l’histoire qui a été racontée », s'enthousiasme Omoyemi.

Un avis partagé par Anna Touré, CEO de l’agence Anna Touré PR, spécialisée dans la mode : « Ce défilé m’inspire énormément ! Cette crise a au moins permis à tout le monde de comprendre qu’organiser un défilé digital est une bonne idée et que cela n'empêche absolument pas de voir la beauté d’un vêtement ». Pour elle, l’avenir de la mode passe par le digital. Un créneau sur lequel son entreprise s’est très vite positionnée : « Dès que nous avons lancé l’agence, le digital a eu une grande importance même si nous n’avons pas négligé les rencontres physiques ou les manières les plus traditionnels de présenter des collections. Nous avons fait ce choix d’abord parce que nous travaillons principalement avec de nouvelles marques qui n’ont pas forcément le budget pour organiser un défilé ou une présentation ».

En plus de l’aspect financier, ce choix est aussi l’occasion de toucher un plus large public : « Intégrer le digital à notre stratégie dès le début a aussi permis de toucher des clients partout dans le monde, aussi bien en Allemagne, qu’en Chine ! Nous représentons des créateurs majoritairement basé sur le continent africain et aussi issus de la diaspora donc ce côté international, c’est aussi notre valeur ajoutée ». Un choix stratégique qui a été bénéfique durant la période de confinement : « Même si les événements ont été repoussés, nous n’avons pas chômé parce qu’avec le digital nous étions toujours actifs. Avec nos marques, nous avons beaucoup travaillé sur les stratégies de crise et la préparation de l’après-covid. La période a aussi été très satisfaisante pour certaines marques comme les boucles d’oreilles Karidja & Khadija. La marque vend très bien en magasin depuis son lancement en 2018 et elle n’a jamais autant vendu en ligne que depuis le confinement! »

Le commerce de proximité, un business model prometteur

Jusqu’à présent, le continent africain a été relativement épargné par la crise sanitaire avec moins de 10 000 décès à ce jour. Ce qui a permis d’avoir des mesures de sécurité moins strictes : « En Afrique, il n’y a pas eu un confinement total. Les créateurs avaient la possibilité de décider eux-mêmes s’ils voulaient fermer leurs boutiques et ateliers ou non », analyse Anna Touré.

La mode sur le continent a toutefois été affectée, mais pour d’autres raisons : « Les designers travaillent beaucoup avec des matières importées. En terme d’approvisionnement, ils ont pu être touché. Le commerce de proximité a aussi été impacté puisque les clients potentiels se déplaçaient moins qu'auparavant », observe Ramata Diallo, consultante mode et experte en mode africaine. Le commerce de proximité est, selon la spécialiste, le business model qui prime partout sur le continent. « En Afrique, nous sommes sur des productions en petites séries, il s’agit d’éditions limitées. Le rapport avec le consommateur est différent. Le couturier connaît parfaitement bien son client, il est à son écoute. Il y a un côté très pragmatique car on ne produit pas en grande quantité pour remplir un magasin mais on produit pour répondre vraiment à un besoin », explique-t-elle.

Un modèle qui pourrait inspirer l’occident en cette période : « Ce système de fidélisation et ce lien avec le consommateur ont de beaux jours devant eux. Le business model occidental qui est en pleine remise en question pourrait s’en inspirer puisqu’aujourd’hui, il y a une volonté de replacer le client au coeur de la réflexion. Ils se sont rendu compte que le client avait été oublié alors que pour les designers africains, il est la priorité. Dans leur manière de travailler, les couturiers africains placent le consommateur au coeur de leur stratégie et cela correspond à la manière dont on consomme sur le continent ».

Ce business model très répandu sur le continent pourrait être une source d’inspiration dans d’autres sociétés où la mode ambitionne d’être durable, équitable et personnalisée.

Crédit : Karidja & Khadija par Bizenga Biz/ Anna Touré PR, capture d’écran Instagram Lagos Fashion Week, Hanifa Mvuemba, Pixabay

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