Fashion Week de Paris : quelles stratégies pour les marques superstars ?
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À Paris, pour la dernière semaine du Fashion Month, les acteurs du luxe ont frappé fort. Alors que le secteur enregistre une éclatante croissance post-pandémique, ses marques de mode ont démontré leur puissance lors de la Fashion Week parisienne femme, terminée le 4 octobre.
Pour tirer le meilleur parti de la visibilité offerte par la Semaine de la Mode, les griffes ont multiplié les images virales en liant, plus que jamais, leur stratégie au savoir-faire, à la créativité et aux célébrités-surprises. Décryptage de ces shows dont l'éminent pouvoir marketing transforme les marques en superstars du luxe.
Dior
Depuis l’arrivée en 2016 de Maria Grazia Chiuri à la tête de la création de Dior, la maison parisienne est devenue l’une des plus performantes du groupe LVMH : passant de 2,2 milliards d’euros de chiffres d’affaires en 2017 à 6,6 milliards d’euros en 2021 (estimations BoF). Pour son défilé femme printemps-été 2023, la griffe a donc poursuivi la thématique de sa recette gagnante : l’exploration du pouvoir féminin.
En quelques années, Dior a embrassé la nouvelle vague du féminisme impulsée par le mouvement #metoo après le scandale Harvey Weinstein en 2017. Dès son arrivée, Maria Grazia Chiuri a présenté le T-shirts « We Should All Be Feminists » (toujours en vente sur l’e-shop à 750 euros) et fait entrer la marque dans la sphère du féminisme pop et décomplexé auquel contribuent des stars planétaires comme Beyoncé. Le sujet du féminin s’exprime dès lors dans le storytelling de tous les défilés Dior du segment femmes, lesquels sont particulièrement nombreux : six depuis janvier 2022.
Cette saison, la question du féminisme a pris corps dans la figure de Catherine de Médicis. L’inspiration de cette grande dame du royaume de France a été l’occasion pour la directrice artistique de surfer intelligemment sur la tendance du corset et d’en proposer une version modernisée.
Mais au-delà du message féministe, le show a mis en avant le savoir-faire de la maison. La démonstration de la technicité des ateliers Dior s’est nichée dans le travail de dentelles délicates en raphia noir et dans la recherche du détournement de la structure de robes du XVIe siècle. À ces prouesses se sont ajoutées les pièces pragmatiques de Maria Grazia Chiuri et plusieurs soutien-gorges, un produit qui colle à la tendance du nouveau sexy.
Enfin, la marque n’a pas oublié de séduire ses clientes asiatiques et américaines, les deux plus gros marchés du groupe LVMH, en jouant la carte du charme parisien à travers le motif d’un plan de Paris. Le défilé était par ailleurs diffusé sur la plateforme métaverse Meta Ziwu, créée par le géant chinois Baidu.
Coperni
Ce 30 septembre, en fabriquant en direct une robe en spray sur le mannequin star Bella Hadid, la marque française Coperni s’est assurée l’un des plus impressionnants MIV (Media Impact Value) du Fashion Month. La vidéo de la performance qui s’est déroulée au Musée National des Arts et Métiers de Paris est rapidement devenue virale, propulsant le nom de Coperni bien au-delà de sa communauté.
Mais le duo de directeurs artistiques composé d’Arnaud Vaillant et de Sébastien Meyer n’en était pas à sa première idée folle. Relancée en 2019 avec le soutien de Tomorrow London Holdings (agence de conseils pour les jeunes créateurs) leur label Coperni avait fait beaucoup parler de lui en 2021, avec un « défilé drive-in » auquel les invités assistaient depuis leur voiture, les phares allumés pour éclairer le podium.
« Les réseaux sociaux sont tout pour nous », déclarait en 2021 Sébastien Meyer, dans une interview pour la FHCM, précisant que la marque était née sur Instagram et avait trouvé son premier revendeur sur cette application. Elle est aujourd’hui distribuée via son propre e-shop et dispose d’un réseau wholesale dans le monde entier.
Avec ce nouveau coup de maître, Coperni est parvenu à capter l’attention de la GenZ tout en renforçant son identité et donc sa différenciation : celle d’une marque futuriste et innovante, qui collabore avec des industriels – cette saison Fabrican Ltd – pour proposer les matériaux de demain.
Côté produit, Coperni, mise sur le segment porteur des marques de luxe, celui des accessoires. Le show incluait leur best-seller, le sac Swipe (vendu à partir de 390 euros pour la version mini), décliné dans une version en or 18 carats, ainsi que de nouveaux modèles : le Lady Bag et le Vanit-e bag. On note également des lunettes à l’esthétique 1990 et un collier choker, façon earphone.
La silhouette est quant à elle très 90’s – LA tendance du moment – et se conjugue à l’épure de Coperni. On note quelques robes lingerie, des jeux de découpe sur les hanches, des pantalons cargos et des crops tops. Un vestiaire simple destiné à une jeune clientèle.
Balmain
Le défilé-festival de Balmain printemps-été 2023, au Stade Jean Bouin, était le dernier volet d’une série de shows guidée par une stratégie d’« entertainment marketing » visant à fédérer sa communauté – professionnels comme consommateurs – autour d’une image de marque festive. Pour l’occasion, la griffe et son influent directeur artistique, Olivier Rousteing, ont créé la surprise en clôturant le défilé avec une invitée de marque, la chanteuse Cher. La star américaine accompagnera Balmain pour le lancement d’une nouvelle ligne de sacs en cuir.
L’événement de la maison parisienne a réuni la collection haute couture et prêt-à-porter homme/femme, incorporant dans la seconde le savoir-faire de la première. On remarquait notamment un travail de matelassage, de drapé et de tressage, des pièces sculpturales mais aussi des imprimés inspirés des chefs-d'œuvre de la Renaissance – dont certains trompe-l'œil rappelaient le travail de Jean Paul Gaultier, avec qui le DA a récemment collaboré. À cette opulence maîtrisée typique de Balmain, s’ajoutaient ici et là des pièces fluides et des coupes oversize, signature du style d’Olivier Rousteing.
Propriété du fonds qatari Mayhoola, Balmain s’appuie sur la force de frappe mondiale que représentent ses défilés pour maintenir son image de marque superstars et se développer sur d’autres marchés. L’entreprise a en effet récemment annoncé son entrée sur le segment de la beauté et de la haute joaillerie.
Balenciaga
Fidèle à son goût de la provocation, Demna, le directeur artistique de Balenciaga, a fait défiler ses 75 silhouettes dans la boue, au Nord de Paris, à Villepinte. Les looks déchirés et tachés font suite au lancement plus tôt cette année d’accessoires de mode dans la même veine. La « Paris Sneaker » notamment, une basket à l'aspect usé et vendue plus de 1 000 euros, ou encore le « Trash bag », qui comme son nom l’indique, s’apparente à un sac-poubelle. Tous les deux ont créé la polémique, faisant de leurs images un sujet viral. Cet acte créatif et stratégique est typique du DA dont la célébrité repose, entre autres, sur sa manie à envoyer valser les conventions et l’idée du bon goût.
Il est intéressant de noter que l'esthétique usée de cette proposition estivale coïncide avec le lancement de la marque du groupe Kering sur le marché de la seconde main. Une sorte de sous-entendu malin démontrant que même les articles Balenciaga qui ont fait leur temps peuvent avoir la valeur d’un produit neuf.
Les pièces de streetwear, hoodie, jogging, bomber et baggy ont occupé une large part de la collection, tout comme le tailoring et les coupes oversized, signature de la marque. L’élégance se trouvait quant à elle dans de longues robes de soirée plissées, drapées ou pailletées qui contrastaient avec le décor boueux.
Côté accessoires, Balenciaga occupe sur ce marché la catégorie des « sacs mode », à l’instar de Jacquemus qui pratique toutefois des prix moins élevés. Étaient inclus sur le catwalk : le Cagole-bag, best-seller de la marque (vendu à partir de 1 950 euros), des sacs de voyage et une large collection de sacs-images : des sacs doudous et un sac-gant porté à l’épaule.
Hormis la collection en elle-même, ce sont aussi les mannequins qui ont marqué les esprits. Leur attitude insoumise et énervée a rapidement été transformée en une multitude de mèmes sur les réseaux, tandis que l'ouverture du show par le rappeur Ye (anciennement baptisé Kanye West) a créé la surprise tout en faisant sensation.
Contrairement à Balmain et à d’autres poids lourds du secteur du luxe, Balenciaga marque une nette différence entre défilé de prêt-à-porter et show haute couture. Alors que dans le second, le savoir-faire s’exprime sur des pièces ultra-modernes qui font référence aux archives de la griffe, le premier ne met pas particulièrement en avant la technicité des ateliers – hormis le look final du show PE23, une robe faite en patchwork du sac Lariat. L’objectif est davantage ici la création d’images impactantes destinées à être appropriées par le public sur les réseaux. Pour Demna, la mode est avant tout un « art visuel », selon les notes du défilé.
L’approche artistique du directeur créatif s’accorde à celle de l’exclusivité recherchée par le groupe Kering (17,6 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2021). Selon les termes de son rapport financier de 2021 Balenciaga travaille à « concentrer l’activité wholesale sur un nombre restreint et hautement qualitatif de partenaires ».
Futures superstars ?
Parmi la pléthore de talents émergents inscrits sur le calendrier de la Fashion Week parisienne, trois d’entre eux se sont démarqués par une offre singulière : Ludovic de Saint Sernin, Ester Manas et Botter.
Ludovic de Saint Sernin : chic et sexy
Ancrée dans un discours genderfluid, la jeune marque éponyme Ludovic de Saint Sernin a bâti son identité sur des vêtements sexy et une pièce signature : un slip à laçage. Cinq ans après son lancement, son défilé printemps-été 2023 a étendu son offre au-delà des tenues de fête et a marqué l’entrée de la marque sur le segment des sous-vêtements avec une ligne en coton parsemée de cristaux (Ldss travaille depuis plusieurs saisons avec le joaillier autrichien Swarovski).
La marque avait également organisé une présentation post-défilé, pour montrer au plus grand nombre ses pièces iconiques en cristal et l'ensemble de la collection PE23 au sein du flagship de Swarovski, sur les Champs-Élysées.
Ester Manas : radicalité plus-size
Bien que née dans un mauvais timing, en 2019, juste avant la pandémie, Ester Manas a tenu bon. La marque de prêt-à-porter femme, dont l’identité se définit par une offre plus-size et un concept de taille unique, a annoncé via son défilé une collaboration avec la griffe danoise à succès, Ganni. Le projet sera dévoilé à l’été 2023.
Ester Manas fait figure d’exception dans une industrie où la plupart des marques de luxe ne font qu’effleurer la question du body-positivisme, quand elles ne l’ignorent pas totalement. Le casting de son show printemps-été 2023 a inclus tous types de corps et démontré avec pragmatisme l'adaptativité de ses designs en matière extensibles.
Botter : protection des océans
En janvier 2022, Rushemy Botter et Lisi Herrebrugh ont quitté leur poste de directeurs artistiques au sein de la maison Nina Ricci dans l’optique de faire grandir la marque mixte qu’ils avaient lancée en 2017 : Botter. Le défilé printemps-été 2023 a confirmé le sérieux avec lequel ils prennent leur mission, celle de développer un label innovant capable de créer, indique le site Web, un « mouvement d'impact » relatif à la protection de l’environnement et à celle des océans en particulier.
« Pour cette collection printemps/été 2023, nous avons voulu explorer l'idée d'amener de l'eau sur le podium », indique le duo en note de défilé. L’attention s’est traduite par des détails surprenants comme des gants aquarium faits de préservatifs et des sacs cubes de glace. La collection estivale comprenait par ailleurs des vêtements fabriqués à partir de fibres d'algues et de plastique océanique. La marque collabore avec des chercheurs en biologie afin d’étudier la possibilité de cultiver des algues pour en faire des fils.